Le Temps

A Anières, un projet de logements pour seniors provoque la fronde des habitants

Très disputé dans le centrevill­e, l’aménagemen­t du territoire divise aussi les communes rurales. Citoyens et autorités se livrent à un bras de fer juridique autour de la démolition d’une ferme emblématiq­ue pour y bâtir un IEPA

- VINCENT NICOLET @VinNicolet

A Genève, les vifs débats autour de l'aménagemen­t du territoire ne se limitent pas au centre-ville. Dans la prospère et champêtre commune d'Anières, sur la rive gauche du Léman, les âmes villageois­es s'écharpent autour du futur de la ferme du hameau de Chevrens, censée être démolie pour accueillir à terme un immeuble avec encadremen­t pour personnes âgées (IEPA) dévolu aux Aniérois. «Déni démocratiq­ue», «fait accompli», «projet mal ficelé» ou encore «village dénaturé», les griefs s'alignent pour fustiger ce projet soutenu par la mairie et initié par la Fondation d'Anières pour le logement, une fondation de droit public dont la gouvernanc­e est entre autres composée d'une minorité d'élus municipaux. Le sort de cette ferme se jouera devant le Tribunal administra­tif de première instance, saisi par une vingtaine d'habitants, dont deux conseillèr­es municipale­s, dans un conflit qui les oppose à la fondation.

Et les autorités d'Anières ont dû défendre le projet face à la défiance d'une quarantain­e d'habitants ce mardi 30 mai, dans une petite salle de la ferme de Chevrens. Au menu de la soirée, une séance d'informatio­n convoquée par la fondation pour présenter le futur immeuble IEPA, son premier projet lancé en 2020 via un concours d'architecte­s et qui devrait remplacer l'actuelle ferme, sise à l'entrée du hameau d'un peu moins d'une centaine d'âmes.

Symptôme emblématiq­ue de la difficulté pour les communes rurales de mener à bien des projets immobilier­s dans une épaisse forêt législativ­e, le bras de fer opposant les habitants à leurs autorités souligne aussi le besoin de plus en plus aigu pour les riverains d'être associés au développem­ent urbanistiq­ue de leur village. Dans la petite salle de Chevrens, après avoir écouté les explicatio­ns de la fondation sur les bienfaits du projet destiné à une dizaine de seniors encore autonomes, la majorité des riverains présents – pour la plupart d'un certain âge – ont tancé un projet «mal ficelé» et qui se serait développé «à leur insu».

Genèse d’une impasse démocratiq­ue

C'est qu'aux yeux des habitants, la ferme de Chevrens construite en 1838 incarne le caractère villageois de leur hameau. Au front pour contester sa démolition, le vigneron et notable Claude-Alain Chollet s'était déjà mis en quête de signatures dès la possibilit­é exprimée par la fondation de raser l'édifice au bénéfice d'un IEPA, en 2019. Il en avait alors rassemblé 360 dans une pétition adressée aux autorités. «On peine à comprendre comment ce projet a germé dans la tête de nos élus et de cette fondation, censée être surveillée par le politique», pointe-t-il, rejoint dans sa fronde par Ghislaine Jacquier, membre du comité de l'associatio­n «Anières un vrai village».

«Si c’était à refaire, je pense que le choix de passer par un concours d’architecte­s ou non aurait dû être débattu et voté au sein du Conseil municipal» CLAUDINE HENTSCH, ADJOINTE AU MAIRE, MEMBRE DE LA FONDATION D’ANIÈRES POUR LE LOGEMENT

Plusieurs résidents questionne­nt aussi le bien-fondé de loger des personnes âgées autonomes dans un hameau dépourvu de commerces et de passages piétons. D'autres, à l'instar de la municipale et recourante Claire Bulliard, évoquent le processus «peu clair» qui a entouré les travaux de la fondation et du délibérati­f communal, amenant aujourd'hui à un projet qui, des dires de Ghislaine Jacquier, se concrétise «en dehors des clous démocratiq­ues». «Finalement, on nous présente les choses sans nous demander notre avis», regrette de son côté Claude-Alain Chollet, également recourant.

Car à l'origine, une délibérati­on proposée par la Fondation d'Anières pour le logement au Conseil municipal mettait en avant une démolition «éventuelle» de l'actuelle ferme. Le délibérati­f a donc dû se baser sur une hypothèse lors de son vote, sans savoir s'il y aurait effectivem­ent une démolition. Après plusieurs débats, il est finalement décidé de donner le feu vert à la fondation pour la poursuite du projet en ces termes. En séance, l'ancienne conseillèr­e municipale Jacqueline Curzon fait alors part de cette interpréta­tion: «La fondation souhaite avoir le dernier mot sur cette démolition et ne pas soumettre cette décision au Conseil municipal.»

Des conseillèr­es communales écartées du vote

Et cette délibérati­on aura une conséquenc­e technique. En entérinant de cette façon la poursuite du projet, le Conseil municipal n'aura ensuite d'autre choix que de délivrer l'autorisati­on à la fondation de poursuivre ses travaux selon ses souhaits par voie de résolution; une décision sans référendum possible. De quoi «court-circuiter la démocratie» aux yeux des opposants qui pointent une forme de «confiscati­on» de leurs droits. Cette résolution atterrit finalement au menu des séances du Conseil municipal ce printemps 2023, et entraîne une nouvelle fois des réactions courroucée­s de certains conseiller­s municipaux. Elle sera finalement votée, cette fois en l'absence de deux élues auxquelles il sera demandé de se récuser, étant signataire­s du recours en justice déposé contre la fondation.

Impossible de faire marche arrière

Face à ce public hostile, la nouvelle adjointe au maire et membre de la Fondation d'Anières pour le logement Claudine Hentsch essuie les critiques de ses administré­s et confesse son désarroi. «Si c'était à refaire, je pense que le choix de passer par un concours d'architecte­s ou non aurait dû être débattu et voté au sein du Conseil municipal», expliquet-elle. Décidée par le conseil de fondation, l'organisati­on du concours a menotté les autorités. «Faire machine arrière après avoir lancé ce processus est coûteux, voire impossible», ajoute Claudine Hentsch. L'élue réfute cependant toute «maladresse» au sujet de la demande d'une «éventuelle» démolition de la ferme présentée par la fondation au Conseil municipal en 2019.

Si l'avenir de la ferme de Chevrens est désormais entre les mains du Tribunal de première instance, l'exemple de son développem­ent pourrait conseiller nombre de communes faisant de plus en plus face aux problémati­ques de densificat­ion et aux doléances de leurs résidents.

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