Faillite de Credit Suisse: à quoi bon une Commission d’enquête parlementaire?
Une Commission d'enquête parlementaire (CEP) vient d'être décidée, mais en coulisses certains parlementaires cherchent à en limiter la portée en se focalisant sur la définition du cahier des charges final qui doit encore être approuvé par les Chambres. Cette opposition craint surtout que les excès de boni ne soient enfin compris pour ce qu'ils sont, à savoir les symptômes d'une crise profonde d'un système financier qu'il faut changer de fond en comble. Elle est fomentée par les cercles qui invoquent la défaillance de la politique, en particulier de la Finma, car, ainsi va la fable, les marchés ne sont en principe pas défaillants, et s'ils le sont, ce n'est qu'à court terme. A plus long terme, le marché s'impose toujours. L'Etat doit donc s'armer de patience et se retenir dans sa fièvre régulatrice.
Comment une logique aussi abstruse a-t-elle pu s'imposer au point qu'aucune condition vraiment stricte n'ait été effectivement imposée aux marchés financiers à la suite de la crise de 2008, alors que nous savons pertinemment que tout marché doit être réglementé pour pouvoir fonctionner? La concurrence et la transparence parfaites n'existent que dans les manuels scolaires, et servent d'arguments fallacieux pour les fondamentalistes de la dérégulation.
La plupart des citoyens s'accordent à dire que les hommes étant ce qu'ils sont, ils ont besoin de gendarmes. Des lois de la concurrence et de la surveillance des activités financières font logiquement partie des fameuses Rahmenbedingungen. Comme tout marché est un univers contractuel, c'est également à l'Etat de droit de veiller au respect des contrats. L'article 754 du Code des obligations stipule en outre que les conseils d'administration doivent assumer la responsabilité des dommages qu'ils ont causés. Ce paragraphe n'est toutefois guère appliqué, car les conseils d'administration, poursuit la fable, ne veulent que du bien. S'il y a des pertes, ils n'ont pas eu de chance ou c'est la faute des autres, au choix: la méchante concurrence américaine, la Finma ou l'Etat tout court.
Enfin, nous savons aussi que les profits sont plus élevés lorsque la concurrence est limitée. Cette lapalissade explique la folie des grandeurs des banques. Des représentants renommés du lobby bancaire font valoir que le problème n'est pas too big to fail, mais too small to succeed. Le fait que la recherche d'un pouvoir de marché implique une mauvaise allocation des ressources n'est pas thématisé.
Est également ignoré le fait que des études de cas montrent que beaucoup de fusions sont des échecs payés finalement par le contribuable.
Toutefois, mettre sérieusement un terme à l'incitation à réaliser des profits élevés en éliminant des concurrents dépasse généralement l'autorité du gouvernement qui, déjà à l'époque de la fusion de la Société de Banque Suisse avec l'Union de Banque Suisse en 1997, s'est contenté d'applaudir. L'Etat fait donc comme si la concurrence fonctionnait très bien grâce à ses lois. Pour éviter de perdre la face, il fait cause commune avec la finance en prônant le marché prétendument efficient.
Dans cette vision libérale idéalisée, l'Etat doit se comporter de manière bienveillante envers les marchés financiers et chercher sous la lumière ce qui se cache dans l'ombre. L'argumentation est simple: les crises financières ont toujours existé et sont la conséquence logique de la nature humaine. Le succès rend imprudent, les pertes sont des punitions nécessaires. Les crises financières seraient donc aussi naturelles que le comportement humain.
Une défaillance systémique est rarement évoquée: la défaillance est avant tout humaine. La fin peu glorieuse de Credit Suisse ne serait pas la conséquence d'un système bancaire devenu fou et de plus en plus déconnecté de l'économie réelle, mais d'une poignée d'hommes incompétents et sans scrupule.
Or, une CEP devrait montrer qu'il s'agit d'un système gravement malade et proposer une réforme en profondeur. Si elle devait considérer le marché financier comme efficient, perturbé seulement ponctuellement par la rapacité humaine, elle raterait sa cible. ■
Dans la vision libérale idéalisée, l’Etat doit se comporter de manière bienveillante envers les marchés financiers