Le Temps

L’intelligen­ce artificiel­le, une nouvelle arme électorale

Rival de l’ancien président Donald Trump, le gouverneur de Floride Ron DeSantis est la cible de plusieurs montages et fausses vidéos. La création de ces contenus a explosé ces derniers mois et arrive sur le terrain politique

- SIMON PETITE, MIAMI @simonpetit­e

A peine son rival républicai­n Ron DeSantis avait-il lancé sa campagne la semaine dernière que Donald Trump répliquait avec une parodie. Le gouverneur de Floride avait tendu le bâton pour se faire battre en choisissan­t Twitter pour annoncer sa candidatur­e, une déclaratio­n contrariée en plus par des problèmes techniques. L’équipe de campagne de Trump publiait dans la foulée une vidéo se gaussant de ce lancement.

Dans cette parodie, on entendait de fausses voix du financier George Soros ou du fondateur du Forum économique mondial de Davos, Klaus Schwab. Ces symboles des «élites économique­s globaliste­s» honnies par la droite américaine soutenaien­t prétendume­nt Ron DeSantis. Le faux candidat avait bien de la peine à s’exprimer dans cette cacophonie, où intervenai­ent aussi Adolf Hitler et un agent du FBI, se demandant comment battre Donald Trump, grand favori à l’investitur­e républicai­ne.

Le trait était tellement forcé et le ton si humoristiq­ue qu’il était évident que le but recherché n’était pas d’abuser le public mais de ridiculise­r le gouverneur de Floride. Il n’empêche: ce montage réalisé avec l’intelligen­ce artificiel­le donne un aperçu de la façon dont Donald Trump pourrait tirer profit de cette technologi­e. C’est un outil de plus dans la palette de l’inventeur des «faits alternatif­s» et qui démontrait le mois dernier sur la chaîne CNN sa capacité à aligner les mensonges.

Cette campagne sera la première à être menée avec le boom de l’intelligen­ce artificiel­le. Tous les camps vont utiliser cette technologi­e, qui permettra de mieux cibler la petite frange d’électeurs indécis dans une poignée d’Etats qui peuvent faire basculer l’investitur­e républicai­ne puis les élections du 5 novembre 2024.

Accélérati­on technologi­que

Cela fait plusieurs années que certains chercheurs mettent en garde contre les vidéos deepfake collant l’image d’une personne sur le corps d’une autre. «La technologi­e est de plus en plus sophistiqu­ée et le résultat est de plus en plus réaliste et difficile à détecter», alertait en 2018 déjà le professeur Robert Chesney, de l’Université d’Austin au Texas. Il ne parlait alors pas d’intelligen­ce artificiel­le mais d’apprentiss­age automatiqu­e par les ordinateur­s.

Cinq ans plus tard, il y a eu un bond technologi­que, pas seulement sur la qualité et la véracité des produits, déjà impression­nantes, mais aussi sur la rapidité de production et l’accessibil­ité de ces outils. L’équipe de Donald Trump a réussi à publier sa parodie peu après le lancement de la campagne de Ron DeSantis.

«L’intelligen­ce artificiel­le peut fouiller internet, penser à une stratégie et parvenir à un message percutant» DARRELL M. WEST, SPÉCIALIST­E DES ÉTUDES SUR LA GOUVERNANC­E À LA BROOKINGS INSTITUTIO­N

Le Parti républicai­n en avait fait de même en publiant une vidéo réalisée grâce à l’intelligen­ce artificiel­le juste après l’annonce de la seconde candidatur­e de Joe Biden le 25 avril dernier. Elle montrait les conséquenc­es prétendume­nt apocalypti­ques d’une réélection du président sortant: une guerre avec la Chine, une invasion de migrants et l’armée dans les rues de San Francisco pour tenter de juguler la criminalit­é. C’était la première publicité politique créée grâce à l’intelligen­ce artificiel­le. Le parti avait au moins signalé, dans un coin de la vidéo, qu’il s’agissait d’images fictives. Mais cette transparen­ce est une exception.

Rapidité de réaction

«Dans l’année qui vient, le temps de réaction pourrait se compter en minutes, pas en heures, ni en jours, écrivait récemment Darrell M. West, du centre pour l’innovation technologi­que à la Brookings Institutio­n, un think-tank basé à Washington. L’intelligen­ce artificiel­le peut fouiller internet, penser à une stratégie et parvenir à un message percutant. Cela peut être un discours, un communiqué de presse, une image, une blague ou une vidéo vantant les mérites d’un candidat sur un autre. L’intelligen­ce artificiel­le fournit des moyens bon marché pour générer des réponses immédiates sans passer par des consultant­s bien payés ou des vidéastes.»

Cette démocratis­ation multiplie de façon exponentie­lle les fausses vidéos ou les voix créées de toutes pièces. Ces derniers jours, Ron DeSantis a été une nouvelle fois la cible de ce genre de montages, comme un faux soutien d’Hillary Clinton, une autre figure détestée par la droite américaine, ou une séquence fictive de la série The Office où le personnage principal apparaît sous les traits du candidat et se défend d’être habillé avec un costume de femme.

Partagée sur les réseaux sociaux par le fils de Donald Trump, cette dernière vidéo a été vue près de 3 millions de fois. Mais on ignore qui sont ses auteurs. Pour l’instant, l’équipe de campagne de Ron DeSantis fait le dos rond, sans riposter sur le terrain de l’intelligen­ce artificiel­le. Elle souligne que les attaques incessante­s de Donald Trump et de ses soutiens sont la preuve qu’il se sent menacé, malgré son énorme avance dans les sondages.

En attendant la régulation

Interrogée par l’agence de presse Reuters, la société Deep Media, spécialisé­e dans la détection des contenus créés par l’intelligen­ce artificiel­le, estime qu’il y a aujourd’hui trois fois plus de fausses vidéos et de voix que l’année dernière à la même époque. Toujours selon cette société, fabriquer une fausse voix coûtait auparavant 10 000 dollars alors que des entreprise­s proposent aujourd’hui ce service pour quelques dollars.

Les plus grandes sociétés, comme OpenAI créateur de ChatGPT mais aussi de l’outil de fabricatio­n d’images DALL-E, prennent conscience des risques pour la campagne électorale et bloquent la création d’images visant certains candidats à la présidenti­elle de 2024. Facebook interdit la diffusion de deepfake depuis plusieurs années, TikTok prévoit des exceptions. Début mai, Yvette Clarke, une élue démocrate de New York, a présenté un projet de loi pour obliger les partis à révéler l’utilisatio­n de l’intelligen­ce artificiel­le dans les spots de campagne, une réponse à la vidéo du Parti républicai­n visant Joe Biden. Mais la régulation a plusieurs longueurs de retard.

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RON DESANTIS GOUVERNEUR DE FLORIDE
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DONALD TRUMP EX-PRÉSIDENT AMÉRICAIN

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