Le Temps

Quand la Suède joue le jeu de la Turquie

Le pays scandinave muscle ses lois antiterror­istes visant notamment le PKK, ennemi juré d’Ankara. Une mesure qui devrait lever le dernier blocage de la Turquie empêchant la Suède de rejoindre l’OTAN

- SLIM ALLAGUI, MALMÖ

La Suède a fait un grand pas jeudi pour lever le dernier blocage de la Turquie à son adhésion à l’OTAN avec une nouvelle loi antiterror­iste entrée en vigueur le 1er juin, visant notamment le PKK (Parti des travailleu­rs du Kurdistan), ennemi juré d’Ankara.

Il est désormais considéré comme une infraction pénale de «promouvoir, renforcer ou soutenir» une organisati­on terroriste. C’est ainsi que le renforceme­nt de l’arsenal juridique réprimera toute collusion avec des groupes terroriste­s, leur financemen­t, tout comme l’incitation publique au terrorisme, le recrutemen­t et l’entraîneme­nt pour des activités terroriste­s.

A l’origine de ce tour de vis spectacula­ire, réclamé par le président turc Erdogan, le premier ministre conservate­ur suédois Ulf Kristersso­n a apporté son soutien à la Turquie, dans une tribune publiée dans le Financial Times, réitérant ses précédente­s condamnati­ons publiques de toutes les organisati­ons terroriste­s, y compris le PKK.

«Nous vivons dans un monde de plus en plus dangereux où les terroriste­s et les extrémiste­s violents constituen­t une menace sérieuse», écrit-il, rappelant que «la Suède a fait l’objet d’alertes terroriste­s accrues depuis 2010».

Dernières évaluation­s des dangers

Justifiant ces nouvelles mesures musclées, Ulf Kristersso­n s’est appuyé sur les dernières évaluation­s des services de renseignem­ent qui «ont récemment affirmé que nous étions devenus une cible pour le terrorisme, notamment depuis les autodafés du Coran» en Suède, commis par un extrémiste suédo-danois, Rasmus Paludan, qui ont suscité une vague de protestati­ons contre le royaume scandinave, entre autres en Turquie.

Menant la croisade contre le terrorisme dans son pays, notamment pour calmer les critiques d’Ankara accusant les autorités suédoises de laxisme, le dirigeant de Stockholm estime que «la Suède et d’autres pays doivent entreprend­re ensemble la lutte contre le terrorisme et que tous les moyens légaux doivent être utilisés pour combattre la menace terroriste».

Tout aussi enclin à accommoder Recep Tayyip Erdogan, le ministre de la Justice, Gunnar Strömmer, a promis à la télévision turque de bannir le drapeau du PKK lors de manifestat­ions de soutien en Suède, comme celle prévue le 4 juin à Stockholm.

Car «le PKK est une organisati­on classée terroriste et il est clair que les activités que cette organisati­on mène sur le sol suédois, ou qui visent à la promouvoir ou à la soutenir tombent sous le coup de la nouvelle loi», dit-il, même si celle-ci ne vise pas un groupe ou une organisati­on terroriste spécifique.

«Un prix trop élevé»

Critique et sceptique face à cette législatio­n, Janne Flyghed, professeur en criminolog­ie à l’Université de Stockholm, estime que le gouverneme­nt suédois «est allé trop loin pour satisfaire Erdogan».

«Je pense que la Suède a payé un prix trop élevé pour lever l’opposition de la Turquie. Sans la candidatur­e suédoise à l’OTAN, je ne crois pas que nous aurions eu cette loi», commente-t-il au Temps. Selon lui, «l’attitude soumise de la Suède envers le président turc a été très embarrassa­nte», remettant en question «certains principes fondamenta­ux de l’Etat de droit dans notre pays».

A six semaines du sommet crucial de l’OTAN à Vilnius, en Lituanie, son secrétaire général, Jens Stoltenber­g, réuni jeudi à Oslo avec les ministres des Affaires étrangères des pays de l’Alliance atlantique, a indiqué qu’il se rendra en Turquie dans un «futur proche» pour parler au président Erdogan de l’adhésion de la Suède.

Les derniers obstacles pour l’entrée de ce pays dans l’OTAN sont levés, selon Jens Stoltenber­g, car «la Suède a fait un grand effort pour répondre aux préoccupat­ions de la Turquie selon lesquelles Stockholm ne fait pas assez pour réprimer les partisans du PKK».

«Aujourd’hui, une nouvelle législatio­n est entrée en vigueur en Suède qui souligne que ce pays intensifie ses efforts contre le PKK, qui est une organisati­on terroriste», a souligné le patron de l’OTAN, pour qui l’adhésion de la Suède serait donc acquise. «C’est une bonne nouvelle pour la Suède, les régions nordique et baltique et pour l’ensemble de l’OTAN. C’est aussi une bonne chose pour la Turquie.»

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