Gaël et Elina, Monfils sa bataille
Le Français et l’Ukrainienne, mariés et parents d’une petite fille de 7 mois, tentent chacun de revenir au tennis de haut niveau. Lui pour prolonger une carrière finissante, elle pour son pays en guerre
Les histoires d’amour naissent souvent sur le lieu de travail. En tennis plus qu’ailleurs dans le sport professionnel, puisque tous les grands tournois sont mixtes et que les lieux réservés aux joueurs (vestiaires, restaurants, courts d’entraînement, hôtels) sont généralement saturés. L’histoire du jeu recense ainsi plusieurs doubles mixtes à la ville comme à la scène: Chris Evert et Jimmy Connors, Björn Borg et Mariana Simionescu, Steffi Graf et Andre Agassi, Roger Federer et Mirka Vavrinec, Lleyton Hewitt et Kim Clijsters.
«Gaël m’a motivée à me battre, à ne pas renoncer et à jouer chaque point à 100%» ELINA SVITOLINA, JOUEUSE DE TENNIS
Le cas d’Elina Svitolina et de Gaël Monfils est à notre connaissance unique. L’Ukrainienne et le Français se sont mariés (en juillet 2021 à Nyon), ils sont devenus parents le 15 octobre 2022 d’une petite fille, prénommée Skaï, et ils continuent depuis leur carrière. A Roland-Garros, ils sont présents pour la première fois en famille, se soutenant l’une l’autre, les hasards de la programmation leur ayant permis de ne pas jouer le même jour et ainsi de mettre en place une sorte de garde alternée de leur fille.
Ils n’étaient plus revenus à Paris depuis deux ans, lui en raison de blessures, elle à cause de la guerre en Ukraine qui, de son propre aveu, l’épuisa nerveusement, et de sa grossesse. L’an dernier, Gaël était tout de même venu saluer le départ à la retraite de son vieux complice et frère d’arme au sein des Mousquetaires, Jo-Wilfried Tsonga. Elina, de son côté, milita avec coeur en faveur de sanctions contre les joueurs russes et biélorusses sur le circuit. Elle fut aussi nommée par Volodymyr Zelensky ambassadrice de l’association d’aide à l’Ukraine United 24, pour laquelle elle a déjà récolté plus de 1 million de dollars.
Présent au bord du court
Le couple a repris le chemin des courts en début d’année, et des tournois au printemps, au bénéfice chacun d’un classement protégé. Au Tennis Club de Nyon, où ils ont leurs habitudes, on nous précise qu’«ils s’entraînent parfois séparément, parfois ensemble». Mi-mai, Gaël Monfils est discrètement venu taper au parc des Eaux-Vives, au milieu des joueurs du Geneva Open. «On s’entraîne ensemble depuis le mois de janvier; lui revenait de sa blessure, moi de ma grossesse. Je sais le nombre d’heures que Gaël a passé à s’entraîner, il veut à tout prix revenir au niveau d’avant», expliqua en début de tournoi Elina Svitolina.
C’est elle qui commença la première, passant aisément le premier tour lundi contre l’Italienne Martina Trevisan (6-2 6-2) sur le court Simonne-Mathieu. Sa conférence de presse qui suivi fut presque plus longue que son match. Elle y développa une longue argumentation pour inciter les médias, et à travers eux le public occidental, à abandonner les vaines polémiques pour se concentrer sur l’essentiel, à savoir comment aider l’Ukraine.
Gaël Monfils a enchaîné mardi, en nocturne, délivrant l’un de ces matchs hors normes dont il conserve le secret, paraissant plusieurs fois à bout de forces, revenant même d’un double break à 4-0 dans le cinquième set pour finalement battre l’Argentin Sebastian Baez au bout de la nuit (3-6 6-3 7-5 1-6 7-5). Elina était dans sa chambre d’hôtel, devant sa télé, incapable de dormir comme l’aurait voulu une veille de match sereine.
Elle rejouait à 11h le mercredi matin, toujours sur le court Simonne-Mathieu, dans une tenue qui n’était pas jaune et bleu par hasard. Gaël Monfils était là, au premier rang malgré le soleil, la chaleur et la fatigue, pour voir son épouse renverser l’Australienne Storm Hunter en trois sets (2-6 6-3 6-1).
«C’est déjà génial pour moi de passer deux tours, je ne pensais pas que j’arriverais à jouer à ce niveau-là, s’étonna Svitolina, désormais 192e au classement WTA après avoir appartenu sept ans durant au top 20 mondial. Gaël m’a motivée à me battre, à ne pas renoncer et à jouer chaque point à 100%.» C’était au tour de Gaël Monfils de jouer jeudi. Une rencontre très alléchante face au Danois Holger Rune, à nouveau en night session. Et puis le visiteur du soir est venu avec 24 heures d’avance – il était passé 23h mercredi – pour annoncer qu’il devait déclarer forfait en raison de douleurs au poignet.
Reste Elina, qui sera de retour sur le Simonne-Mathieu pour son troisième tour vendredi après-midi contre la Russe Russe Anna Blinkova. Une adversaire qu’elle vient de rencontrer et de battre en finale du tournoi de Strasbourg. En Alsace, la Russe et l’Ukrainienne ne se sont pas serré la main, s’adressant simplement un signe de la raquette à la fin de la partie. Il n’y eut pas non plus de photo des deux joueuses ensemble. «Nous sommes en état de guerre. Pour l’instant, c’est comme ça», a commenté Elina Svitolina, qui a annoncé qu’elle reverserait l’intégralité de ses gains strasbourgeois «aux enfants d’Ukraine». Si Gaël Monfils joue pour son plaisir, Elina Svitolina est en mission. Lorsqu’ils ne jouent pas, la vie est belle à Paris. «C’est très spécial d’être les trois ensemble sur un tournoi. Le tennis est notre vie depuis que nous avons 13 ans mais maintenant, il y a notre fille.» ■