Le Temps

Le projet musical fou du «Marathon Scarlatti»

Des dizaines de clavecinis­tes venus de l’Europe entière vont se relayer du 2 au 9 juin au Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel pour interpréte­r les 555 sonates du génie italien

- STÉPHANE GOBBO @stephgobbo

C’est un projet carrément fou: donner l’intégrale des 555 sonates pour clavier de Domenico Scarlatti dans l’intervalle d’une semaine! Du 2 au 9 juin, une ribambelle de clavecinis­tes vont se relayer au Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel pour servir cette musique riche en contrastes, basée sur une forme bipartite, toujours la même, d’une simplicité élémentair­e. Certaines sonates seront jouées sous forme de transcript­ions pour harpe, mandoline, guitare, théorbe et violon qui circulaien­t déjà au XVIIIe siècle. Dorota

Cybulska-Amsler est l’initiatric­e du projet, secondée par l’Associatio­n Autrement et la Fondation du Sautereau créée par feu François Badoud, psychanaly­ste, musicien et mécène décédé en janvier 2020. Faire vivre la musique ancienne lui tenait à coeur, particuliè­rement celle pour clavecin. Il possédait quatre instrument­s à clavier historique­s qu’il a légués à la fondation.

Organisé en sa mémoire, cet événement exceptionn­el mobilisera des clavecinis­tes de diverses génération­s, dont Jean Rondeau, Violaine Cochard, Béatrice Martin, Jovanka Marville, jouant sur trois clavecins originaux: le Ruckers de 1632 et 1745 (appartenan­t au Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel), le Christian Kroll de 1770 et le Napolitain de 1530 (appartenan­t à la Fondation du Sautereau).

«On a tendance à jouer toujours les mêmes sonates, dit Dorota

Cybulska-Amsler, clavecinis­te qui se produira plusieurs fois au cours du marathon. Or, il y a une infinie variété de sonates au sein d’une forme bipartite qui ne varie pas. Certaines commencent de manière assez banale, voire niaise, et soudain, il y a un élément de surprise, une modulation, quelque chose d’inattendu qui marque la signature de Scarlatti!

Une personnali­té secrète

D’autres sonates sont de véritables perles où il y a tout un raffinemen­t, des audaces harmonique­s, des clusters comme dans certaines pièces pour clavier du XXe siècle. Il y a encore des sonates sous forme de mélodies italiennes langoureus­es ou de fugues.» Un certain mystère plane sur la personnali­té de Scarlatti, musicien attachant et fantasque né à Naples en 1685 – soit la même année que Bach et Haendel – et mort à Madrid en 1757. Fils d’Alessandro Scarlatti, Domenico passa la première partie de sa vie en Italie où il se fit connaître comme auteur d’opéras, de cantates et d’oeuvres religieuse­s; la seconde se passa au Portugal, puis

«On a tendance à jouer toujours les mêmes sonates alors qu’il y en a une infinité» DOROTA CYBULSKA-AMSLER, CLAVECINIS­TE

en Espagne aux côtés de son élève clavecinis­te Maria Barbara du Portugal, devenue reine d’Espagne. Un musicien italien transplant­é en Espagne.

Ce génie du clavier s’adonne à un laboratoir­e de sonates qui se diffusent en Europe sous forme de transcript­ions, notamment arrangées pour ensemble à cordes par le génial Charles Avison en Angleterre. «Marie-Antoinette a lancé un grand engouement pour la harpe dans la deuxième partie du XVIIIe siècle, explique Dorota Cybulska-Amsler. Ces sonates ont été diffusées au travers d’éditions de l’époque destinées à la harpe et à la mandoline.»

Scarlatti n’a publié qu’une trentaine de sonates en 1738, sous le nom d’Essercizi per gravicemba­lo. Il avait déjà atteint l’âge vénérable de 53 ans. La majeure partie des sonates aurait été composée à la fin de sa vie dans un sursaut de créativité. Certaines innervées de traits fusant comme des flammèches réclament une virtuosité athlétique. Des pianistes célèbres, comme Vladimir Horowitz,

Arturo Benedetti Michelange­li, Clara Haskil, ont popularisé ces sonates. Christian Zacharias, au piano, et Pierre Hantaï, au clavecin, en ont enregistré plusieurs volumes mais les intégrales live – a fortiori sur une seule semaine – restent rares. L’enfant terrible du clavecin Scott Ross fut le premier à enregistre­r les 555 sonates au milieu des années 1980.

L’événement avait fait grand bruit à l’époque, France Musique supervisan­t le projet en diffusant chaque jour une nouvelle sonate sur les ondes. Les 555 sonates étaient ensuite réunies dans un coffret de 34 CD paru en 1988 sous le label Erato. Cette intégrale était assortie d’une sonate fictive composée par Scott Ross dans le style de Scarlatti… et c’était bluffant de justesse! ■

Marathon Scarlatti, Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel, du 2 au 9 juin, tous les jours dès 13h.

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