L’Amérique latine, un continent secoué par les crises
Les violences liées au crime organisé et la faillite des démocraties, sur fond d’essor du narcotrafic, déstabilisent plusieurs pays de la région
La hausse de la violence liée aux activités du crime organisé n’est pas l’apanage de l’Equateur. Elle touche toute l’Amérique latine, qui reste actuellement le territoire d’un tiers des meurtres commis dans le monde chaque année, selon le dernier rapport de l’International Crisis Group sur la région. L’Amérique centrale, la Colombie et le Mexique ont longtemps été les centres névralgiques des activités des groupes criminels. La reconfiguration des routes de la drogue a charrié avec elles des vagues de violence en Equateur et au Costa Rica.
Aggravation depuis la pandémie
«Les groupes criminels ont découvert en Equateur un lieu très lucratif pour envoyer des grandes cargaisons de cocaïne vers l’Europe, car les contrôles de sécurité y sont peu développés et les routes du commerce maritime bien établies. Mais nous constatons une hausse de la production et du trafic de drogue et une reconfiguration des routes dans toute la région», souligne Elizabeth Dickinson, de l’International Crisis Group. Une tendance contre laquelle les politiques de contrôle semblent impuissantes.
Les cartels s’alimentent des difficultés économiques précipitées par la pandémie de covid, depuis 2020, qui n’a fait que creuser les inégalités et pousser davantage d’individus vers le crime organisé. Dans son édition 2021 du «Panorama social de l’Amérique latine», la CEPAL estime que la crise sanitaire a plongé plus de 20 millions de personnes dans la précarité. La pauvreté a atteint son niveau le plus élevé depuis douze ans, touchant 33,7% de la population d’Amérique latine et des Caraïbes.
«Cette situation favorise le développement du travail informel et permet à des groupes criminels de prendre le contrôle de la société. Lorsqu’il n’y a pas de perspective d’avenir, c’est plus simple pour les cartels de recruter des jeunes en leur promettant un salaire et un nouveau téléphone», relève Elizabeth Dickinson.
Diversification des activités
Favorisée par la corruption, on observe aussi, au cours des dernières années, une diversification des activités des trafiquants, au-delà du commerce de drogue, pour englober une série d’autres marchés noirs lucratifs, exploitation minière ou forestière, vol d’essence, trafic d’êtres humains. «Certains groupes investissent aussi dans des marchés légaux pour étendre leur influence sur la communauté, devenant de plus en plus difficiles à combattre.» Plus que jamais, la crise économique et la hausse de la violence sont devenues des thèmes politiques majeurs, dans l’ensemble des pays de la région.
Après la «marée rose» des années 2000, comme on a appelé l’arrivée au pouvoir de gouvernements de gauche étatistes, l’Amérique latine a connu une «marée bleue» de dirigeants de droite dix ans plus tard, avec Mauricio Macri en Argentine et Jair Bolsonaro au Brésil. Mais, «qu’ils soient de gauche ou de droite, les gouvernements peinent à reprendre le contrôle. Malgré les élections, l’alternance entre les forces, les Etats sont faibles», souligne Kevin Parthenay, professeur de science politique à l’Université de Tours, qui observe une «dégradation de la démocratie» dans la région, avec une perte de confiance des citoyens.
Un sentiment renforcé par «la permanence des élites politiques et économiques, qui souvent capturent des ressources nationales au détriment de la population. Le sentiment d’être dépossédés du pouvoir par une grande aristocratie alimente la défiance, le complotisme et le rejet des institutions publiques.» Un terrain propice aux éruptions politiques. Comme au Brésil, il y a tout juste un an, lorsque les partisans de l’ancien président Jair Bolsonaro tentaient un coup d’Etat, alors que Lula venait d’être investi président de la République. Kevin Parthenay voit aussi dans l’ascension fulgurante de Javier Milei, en Argentine, un symptôme de la polarisation et de la perte de confiance de la population envers les élites dirigeantes. «Comme Milei en Argentine, les mouvements d’opposition capitalisent sur le rejet, plutôt que sur une proposition programmatique solide.»
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