Le printemps birman est en marche
Depuis le 27 octobre, les fronts se multiplient en Birmanie, opposant la junte au pouvoir à des groupes ethniques armés rapidement rejoints par des rebelles pro-démocratie
Loin des radars, la Birmanie s’enfonce dans une guerre civile. Depuis près de trois mois, plusieurs offensives ont été lancées par différentes alliances de groupes ethniques armées. Un seul but: faire tomber la junte au pouvoir depuis le 1er février 2021, date du coup d’Etat qui referma une courte parenthèse démocratique. Désormais, au moins 300 bases militaires, des quantités énormes d’armes, 16 villes, des postes frontaliers et plusieurs routes commerciales seraient sous le contrôle des insurgés entraînant l’arrêt du commerce transfrontalier avec la Chine.
Selon les observateurs, la junte, impopulaire, diminuée par les attaques et des désertions massives, ne maîtriserait plus que la moitié des pays. Mais il reste le ciel: aux attaques, les généraux répondent par des bombardements indiscriminés contre ces groupes qu’elle qualifie de «terroristes». Dimanche, au moins 15 civils ont été tués par une frappe aérienne dans un village du nordouest. En Birmanie, la junte est en passe de réussir l’impossible: unir un peuple marqué par les divisions ethniques contre son propre pouvoir.
Retour le 27 octobre dernier. L’opération 1027 – nommée en référence à cette date — surprend par son ampleur, sa rapidité et sa coordination: plusieurs postes militaires sont attaqués dans l’Etat Shan, qui borde la Chine, le Laos et la Thaïlande. Derrière cette attaque, il y a l’Alliance de la fraternité formée des groupes de l’Armée de l’Arakan dans l’ouest, l’Armée de libération nationale Taaung et l’alliance démocratique nationale du Myanmar, toutes deux dans le nord. Les dizaines de milliers de combattants disent vouloir «sauver la vie des civils», «affirmer leur contrôle sur le territoire» et «éradiquer la dictature militaire». Plusieurs villes sont prises et depuis, l’alliance avance dans l’Etat. Et l’attaque fait boule de neige; début novembre, d’autres offensives sont également lancées dans l’Etat Chin, ceux de Rakhine et Kayah ainsi que dans la région de Sagaing. Les différents groupes ethniques armés sont soutenus par les forces de défense du peuple (PDF), branche armée du gouvernement d’unité nationale en exil.
«Nous pouvons aujourd’hui parler d’un printemps birman, explique David Camroux, chercheur honoraire au Centre d’études internationales de Sciences-po à Paris et spécialiste du Sud-Est asiatique. L’opération 1027 a marqué un tournant: la guerre se joue désormais sur trois différents fronts. Il y a le front militaire mais aussi diplomatique avec le travail du gouvernement d’unité nationale en exil. A part avec la Russie ou la Corée du Nord, la junte n’a jamais réussi à s’imposer sur la scène diplomatique. Enfin, le dernier front est celui de la politique interne: le gouvernement en exil est appuyé par un comité consultatif d’anciens parlementaires qui sont déjà en train de travailler sur l’après-junte et à l’élaboration d’une constitution qui permettrait l’avènement d’un Etat fédéral.»
Et pour marquer le tournant, l’Etat Shan n’a pas été choisi au hasard. Au nord de l’Etat, la région de Kokang, aujourd’hui reprise par les insurgés, avait été la grande victoire personnelle de Min Aung Hlaing (dirigeant de facto du pays depuis le coup d’Etat) qui l’avait conquise en 2009 et rattachée au pouvoir central. «Cette victoire était la base de sa popularité et de sa légitimité au sein de l’armée, ajoute David Camroux. C’est donc une humiliation personnelle pour Min Aung Hlaing ainsi qu’un mauvais signe pour un homme qui est extrêmement superstitieux et qui consulte des astrologues avant chaque décision.» Camouflet de plus, dans la région de Kokang, près de 2400 soldats birmans se sont rendus presque sans s’être battus. Et parmi eux, trois généraux.
L’ambiguïté de Pékin
Cette attaque révèle également toute l’ambiguïté du comportement de Pékin. Bien que la Chine soit un important fournisseur d’armes et un allié du régime birman, les relations ont été particulièrement tendues ces derniers mois devant l’échec de la junte pour réprimer les réseaux d’escroqueries en ligne hébergés dans des centres des zones frontalières birmanes. Des citoyens chinois et d’autres nationalités y travaillent, souvent victimes de traite des êtres humains, pour organiser des arnaques à l’adresse de leurs concitoyens. En 2023, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies avait estimé qu’au moins 120 000 personnes étaient détenues dans des centres d’escroquerie, nombre d’entre elles étant hébergées dans la ville de Laukkai. Vendredi 7 janvier, l’Alliance de la fraternité a déclaré que la ville était désormais sous son contrôle.
Si Pékin a déclaré avoir servi de médiateur dans des pourparlers entre l’armée birmane et les groupes rebelles et avoir obtenu un cessez-le-feu, celui-ci n’a été que de courte durée. La Chine entretient des relations avec des groupes ethniques armés du nord de la Birmanie, certains partageants des liens ethniques et culturels étroits, utilisant la monnaie chinoise et les réseaux téléphoniques dans le territoire qu’ils contrôlent. «A la fin du mois d’octobre, la question était de savoir si la Chine avait simplement laissé faire les insurgés, détaille David Camroux. Aujourd’hui, la question est de savoir si elle a donné son feu vert.»
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