A Taïwan, le statu quo est le mot d’ordre des élections
Les 23 millions de Taïwanais se rendront aux urnes samedi. Donné favori des sondages, l’actuel vice-président Lai Ching-te promet de ne rien changer. Les pressions de Pékin semblent vaines sur le choix des électeurs
Trois candidats s’affrontent pour la présidentielle de Taïwan ce samedi. Après deux mandats, la présidente Tsai Ingwen reste populaire mais ne peut plus se représenter. C’est son vice-président, Lai Ching-te, favori dans les sondages, qui pourrait offrir un troisième succès d’affilée au Parti de la démocratie et du progrès, accusé par Pékin d’avoir un agenda indépendantiste alors que la Chine populaire considère l’île comme une «province rebelle». Comme pour chaque scrutin présidentiel depuis 1996, date de la pleine démocratisation de l’île, le Parti communiste chinois a tenté d’influencer les électeurs taïwanais par diverses formes de pression. Assistant professeur de l’Université Tamkang à Taipei, Gregory Coutaz relativise l’impact de ces manoeuvres.
Dans quel climat se déroulent ces élections? C’est une campagne très particulière qui vient tout juste de démarrer. Durant des mois, l’attention était entièrement portée sur la capacité de l’opposition à former une coalition. Cela semblait fait l’automne dernier avant qu’elle n’explose. Le parti nationaliste (Kuomintang) de Hou Yu-ih et le Parti populaire de Taïwan de Ko Wen-je n’ont finalement pas réussi à s’accorder pour des questions d’ego. Quant à Terry Gou, le patron de Foxconn qui se lançait en indépendant, il a dû jeter l’éponge après que Pékin a annoncé une enquête le visant en Chine. Leur seul point commun était de faire chuter le parti au pouvoir, le Parti de la démocratie et du progrès (PDP). C’est un nouvel échec qui ouvre un boulevard pour Lai Ching-te, l’actuel vice-président, même si les écarts se sont resserrés ces derniers jours. Ce serait une grosse surprise s’il devait perdre. Il n’est par contre pas sûr que le PDP puisse maintenir sa majorité au parlement.
Comment la Chine a-t-elle tenté cette fois-ci d’influencer le vote? Il n’y a rien de nouveau. Ses interférences sont de trois natures. D’abord, militaires. Il y a eu les avions, puis les drones, enfin les ballons. Mais c’est le quotidien des Taïwanais depuis deux ou trois ans. Cela n’a aucune influence sur leur vote. Elles sont ensuite économiques avec des menaces de boycott, notamment de produits agricoles. Cela peut jouer, mais c’est marginal. Il y a enfin ce que l’on nomme le cognitive warfare ou la «guerre psychologique» qui prend plusieurs formes. Il y a les campagnes de désinformations sur internet, avec des fake news.
C’est limité et les médias locaux font du bon travail de fact checking. Ce qui est plus inquiétant, par contre, ce sont les tentatives de diviser la population et les autorités en alimentant des débats en ligne sur des sujets clivant avec l’intervention massive d’internautes du continent chinois. Mais là encore, c’est peu utilisé à ce stade. Cela n’a rien à voir avec ce à quoi on a assisté lors de la campagne électorale américaine de 2016. Il faut faire attention à ne pas exagérer les pressions chinoises. On aurait sûrement tort d’attribuer une défaite de Lai Ching-te aux manoeuvres de Pékin.
Qu’en est-il de la relation avec la Chine? Comment les partis se positionnent-ils aujourd’hui? Cela reste un sujet compliqué pour le Kuomintang (KMT). Sa vieille garde ne veut pas déroger à ce qu’on appelle le «consensus de 1992», un accord entre Pékin et Taipei lorsque l’île était dirigée par les nationalistes, qui stipule l’unité de la Chine mais avec des interprétations différentes. En 2024, ce consensus est dépassé et il est naïf de s’y raccrocher, surtout aux yeux des jeunes générations. Le parti avait tenté de prendre ses distances avec cette formule. En vain. Le KMT répète son vieux discours selon lequel voter PDP, c’est choisir la guerre, et voter KMT, c’est le choix de la paix. C’est maladroit car c’est exactement ce que dit Pékin. Hou Yu-ih était prêt à changer de logiciel, mais les caciques du parti continuent d’imposer leur lecture, celle de tensions nourries par le PDP, ou les Etats-Unis, mais jamais par la Chine. Si Hou Yu-ih était élu, l’attention se focaliserait à nouveau sur les relations avec Pékin dont le point d’orgue fut la rencontre, en 2016, entre les présidents Xi Jinping et Ma Ying-jeou.
Le Kuomintang est-il pour autant prêt à négocier une unification avec la Chine? Non. C’est n’est pas un parti pro-unification. Tout comme le PDP n’est pas un parti indépendantiste.
Si Lai Ching-te devait succéder à Tsai Ingwen, que pourrait-il changer dans sa politique chinoise? Rien. Il s’inscrit dans la continuité. Il se dit ouvert au dialogue avec Pékin, mais il ne sera pas davantage entendu. Le mot à la mode est celui de «statu quo», c’est d’ailleurs vrai pour tous les candidats. Lai était à l’origine de l’aile indépendantiste du parti, mais il a versé de l’eau dans son vin. S’il gagne, il continuera de donner une certaine visibilité à
Taïwan sur le plan international en inscrivant l’île dans le camp des démocraties.
«Lai était à l’origine de l’aile indépendantiste du parti, mais il a versé de l’eau dans son vin» GREGORY COUTAZ, ASSISTANT PROFESSEUR DE L’UNIVERSITÉ DE TAIPEI
Pourrait-il changer la Constitution, et mettre fin à la fiction d’un gouvernement qui a autorité sur toute la Chine héritée de la République de Chine? Non, il ne rouvrira pas ce débat. C’est une ligne rouge pour Pékin. Cela ne lui rapporterait aucune voix. Le mot d’ordre est «pas de changement».
Même si Taipei devait perdre les derniers Etats, une douzaine, qui le reconnaissent? Cela n’a pas d’incidence sur la vie des Taïwanais. Ce n’est pas véritablement une préoccupation.
Un troisième mandat présidentiel d’affilée pour le PDP ne représente-t-il pas un risque pour la démocratie taïwanaise? Je ne crois pas. Les régions et les villes sont majoritairement aux mains de l’opposition. Et il est possible que le PDP perde sa majorité au parlement. La différence est que les élections locales se jouent sur des enjeux locaux alors que la présidentielle met en jeu la relation avec Pékin. Ce ne sont pas des élections de même nature.
Hormis la Chine, quelles sont les préoccupations des Taïwanais? Cette campagne ayant été en partie escamotée par les aléas de l’opposition, il n’y a eu que peu de débats. Les principales préoccupations sont liées à l’accès au logement, au pouvoir d’achat, à l’énergie nucléaire. Je ne serais pas surpris que le taux de participation soit moins élevé que lors des précédentes élections présidentielles.
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