Le Temps

A droite, la surveillan­ce d’internet divise

Le fait que l’exploratio­n du réseau câblé puisse intercepte­r des communicat­ions de résidents suisses interroge certains parlementa­ires à Berne. Une élue estime toutefois que les contrôles existants sont suffisants

- GRÉGOIRE BARBEY @GregoireBa­rbey

Ce sont des révélation­s qui ne laissent personne indifféren­t, même à droite de l'échiquier politique, d'habitude plutôt favorable au Service de renseignem­ent de la Confédérat­ion (SRC). Selon des documents produits par le média alémanique Republik, l'exploratio­n du réseau câblé mise en oeuvre par le SRC peut concerner aussi des communicat­ions internes à la Suisse. Le Conseil fédéral et les autorités compétente­s avaient pourtant affirmé le contraire en 2016, lors de la campagne référendai­re sur la révision de la loi fédérale sur le renseignem­ent (LRens).

Revenons-en à l'essentiel. Qu'est-ce que cela signifie, l'exploratio­n du réseau câblé? Il s'agit ni plus ni moins que d'analyser le trafic internet. Cette surveillan­ce est automatisé­e. Pour filtrer les flux de données, les autorités s'appuient sur des motsclés. Ceux-ci doivent être précis. Ils ne peuvent pas concerner une personne physique ou morale, ni un terme trop général, comme «bombe» ou «attentat».

Lorsqu'une communicat­ion contient un mot-clé faisant l'objet d'un mandat de recherche, celle-ci est redirigée au Centre des opérations électroniq­ues de Zimmerwald, un service rattaché à l'armée. Les analystes vérifient alors manuelleme­nt de quoi il retourne. Si l'échange intercepté s'avère pertinent, il est transféré au Service de renseignem­ent de la Confédérat­ion. Dans le cas contraire, il est détruit.

Ce qui pose problème, c'est que le Conseil fédéral et les défenseurs de la révision de la LRens avaient garanti que cette exploratio­n du réseau câblé ne viserait que des communicat­ions de l'étranger. Mais la réalité est plus compliquée. Internet est un réseau global, et ses frontières ne sont pas aussi clairement définies que celles des Etats.

Résultat, même si tel n'est pas le but recherché, des messages ou des recherches de résidents suisses peuvent être intercepté­s aussi. Ce n'est qu'après avoir été consultés par des analystes du Centre des opérations électroniq­ues qu'ils peuvent être détruits. De plus, la protection des sources des journalist­es et le secret profession­nel des avocats ne bénéficien­t pas d'une garantie absolue contre la surveillan­ce du réseau câblé et pourraient être exploités par le SRC pour autant que les échanges s'inscrivent dans un mandat de recherche.

Des craintes qui «sentent le réchauffé»

«Ces craintes sentent le réchauffé», balaie la conseillèr­e nationale Jacqueline de Quattro (PLR/VD), vice-présidente de la Commission de la politique de sécurité du National (CPSN). Selon elle, le SRC est la cible d'un procès d'intention depuis de nombreuses années. Elle rappelle que le Tribunal fédéral administra­tif doit rendre une décision qui concerne l'exploratio­n du réseau câblé. «S'il estime qu'il faut améliorer la loi, on le fera», indiquet-elle.

Jacqueline de Quattro rappelle les garde-fous existants. «Lorsque le SRC veut effectuer une recherche, il doit soumettre les critères de recherche au Tribunal fédéral administra­tif, et s'ils sont approuvés, ils doivent encore être validés par trois conseiller­s fédéraux.» Au surplus, la nouvelle loi sur la protection des données, entrée en vigueur le 1er septembre 2023, donne au préposé fédéral à la protection des données des compétence­s plus larges pour s'assurer du respect de la vie privée des citoyens. Enfin, elle rappelle que dans le contexte géopolitiq­ue actuel, il est important que le SRC puisse faire son travail.

La «zone grise» du renseignem­ent

Son collègue Jean-Luc Addor (UDC/VS), qui siège aussi à la CPS-N, est plus mal à l'aise. «Je suis de ceux qui pensent que nos services de renseignem­ent ne bénéficien­t pas des moyens nécessaire­s pour assurer leurs missions, lance-t-il d'emblée. Il y a toujours une zone grise entre la politique de sécurité et l'Etat de droit, avec laquelle je suis à l'aise lorsque cela concerne une surveillan­ce ciblée», ajoute-t-il. Pour lui, l'exploratio­n du réseau câblé, si elle touche aussi à des communicat­ions de résidents suisses, s'apparenter­ait davantage à une forme de surveillan­ce de masse.

Ce qui le gêne particuliè­rement, c'est la dimension automatisé­e de ce mode opératoire. «C'est quand même embarrassa­nt de partir du principe que tout le monde est suspect», observe Jean-Luc Addor. L'intéressé estime que le sujet doit être abordé politiquem­ent. «Lors de la révision de la loi, il faudra présenter les choses clairement à la population, pour qu'elle l'accepte en connaissan­ce de cause», conclut le Valaisan.

«Lors de la révision de la loi, il faudra présenter les choses clairement à la population» JEAN-LUC ADDOR, CONSEILLER NATIONAL (UDC/VS)

Une préoccupat­ion partagée par le conseiller aux Etats Mauro Poggia (MCG/GE), qui siège depuis peu à la Commission de la politique de sécurité des Etats (CPSE). «Il y a toujours une tension entre l'efficacité du renseignem­ent et la protection de la sphère privée de la population, expliquet-il. C'est ce curseur qui doit faire l'objet d'une discussion publique transparen­te.»

Ancien ministre de la Sécurité à Genève, Mauro Poggia est aussi avocat. Le fait que le secret profession­nel ne soit pas garanti le dérange aussi. «Il ne protège pas uniquement celui qui le revendique, mais la société tout entière», déclare-t-il. Le Genevois estime indispensa­ble dans une société démocratiq­ue qu'il existe des personnes à qui il est possible de se confier sans que le contenu de la conversati­on ne soit divulgué, sauf si le confident devient complice.

Contactés, le président et des membres de la Délégation des commission­s de gestion expliquent que les sujets concernant le SRC sont bien du ressort de cette instance parlementa­ire, laquelle ne commente pas sur le plan politique des éléments qui concernent un organe de l'administra­tion dont elle assure la haute surveillan­ce.

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