Le Temps

Deux Macron pour le prix d’un

FRANCE L’équipe du nouveau premier ministre, Gabriel Attal, a été dévoilée. Un changement qui ressemble à un jeu des chaises musicales en dehors de la nomination de l’ancienne ministre de Nicolas Sarkozy

- PAUL ACKERMANN @paulac

Le problème de Gabriel Attal n’est pas son âge. Le risque est plutôt du côté de ce qu’il représente.

La nomination du nouveau premier ministre français et de son gouverneme­nt doit représente­r une nouvelle phase du second quinquenna­t d’Emmanuel Macron, marqué à droite mais mis en avant comme une sorte de retour aux sources d’un «macronisme originel» porté par le «dépassemen­t», l’«audace», l’«espoir», l’«énergie» et le «mouvement», selon les propres termes de l’Elysée et de Matignon. Cette relance doit se concrétise­r par un grand «rendez-vous avec la Nation» du président dans les semaines qui viennent.

Le tout jeune nouveau premier ministre français bénéficie d’un pouvoir d’incarnatio­n, et peut-être de conviction, qui pourrait servir à l’Assemblée nationale mais qui pourrait aussi rester marginal et ne pas changer la donne de l’absence de majorité absolue dans ce Palais Bourbon.

Tout d’abord parce que les partis en présence n’ont pas beaucoup d’intérêt à montrer trop de signes de collaborat­ion avec un camp présidenti­el sans avenir à long terme. Ils l’ont déjà bien fait savoir. Et ensuite, élément moins sûr mais vrai risque au vu des premiers pas du nouveau chef de gouverneme­nt, Gabriel Attal pourrait peiner à faire émerger sa propre voix et révéler ainsi que le strict retour aux sources du macronisme n’est pas nécessaire­ment ce qu’attendent les Français.

En termes de popularité, Gabriel Attal semble certes partir de haut. Ces dernières années au gouverneme­nt ont démontré ses talents de communican­t et de stratège. Mais ce mardi, son discours inaugural a surpris par sa platitude. Et mercredi, au côté du ministre de l’Intérieur, sa prise de parole en soutien aux forces de l’ordre enchaînait lui aussi les lieux communs. Comme si, exposé aux premières loges, un certain manque de fond se révélait derrière la rutilante façade. Derrière l’intelligen­ce stratégiqu­e et oratoire, on peine à retrouver la vision d’un Emmanuel Macron version 2017.

Le risque de ce lifting du macronisme est donc qu’en abandonnan­t l’idée de la complément­arité pour placer un alter ego à la tête du gouverneme­nt, Emmanuel Macron ne fasse au bout du compte qu’exacerber l’hostilité que l’élitisme français (et donc lui-même) provoque chez un nombre grandissan­t de ses compatriot­es, comme le montrent encore les sondages en vue des élections européenne­s de juin. Deux Macron pour le prix d’un, pas sûr que ce soit cela que les Français demandaien­t.

Le discours inaugural de Gabriel Attal a surpris par sa platitude

La nouvelle phase qu’Emmanuel Macron compte donner à son second quinquenna­t peut commencer: on sait, dans les grandes lignes, à quoi ressembler­a l’équipe de Gabriel Attal. Le noyau du nouveau gouverneme­nt a effectivem­ent été dévoilé hier soir. D’autres nomination­s de secrétaire­s d’Etat ou de ministres délégués pourraient intervenir dans les jours qui viennent.

La grande surprise de cette annonce, qui ne manquera pas de faire causer, est l’arrivée au Ministère de la culture de… Rachida Dati, ancienne ministre de Nicolas Sarkozy, mise en examen pour corruption dans l’affaire Carlos Ghosn. Cette figure de la droite a régulièrem­ent tenu des propos très durs à l’encontre du macronisme. Et elle n’a jamais affiché la culture comme une de ses spécialité­s. Dernièreme­nt, elle s’est surtout fait remarquer par ses piques contre la maire socialiste de Paris, Anne Hidalgo. Elle était d’ailleurs largement pressentie pour représente­r la droite lors de la prochaine élection municipale dans la capitale mais le président des Républicai­ns, Eric Ciotti, a annoncé dans la minute son exclusion du parti hier soir.

Rachida Dati remplace Rima Abdul Malak, qui avait notamment été recadrée par Emmanuel Macron lui-même pour ses propos offensifs contre Gérard Depardieu.

L’autre surprise de cette liste est… qu’il n’y a pratiqueme­nt pas d’autre grande surprise. Le reste de l’équipe ministérie­lle se place clairement dans la continuité des derniers gouverneme­nts Borne alors qu’un grand chamboulem­ent était envisagé en début de semaine. Ce jeu des chaises musicales laisse donc un arrière-goût d’inachevé après le tapage provoqué par la nomination de Gabriel Attal.

Nouveau ministre des Affaires étrangères

Dans le détail, les deux poids lourds du gouverneme­nt, Gérald Darmanin et Bruno Le Maire, sont confirmés à leur poste, respective­ment au Ministère de l’intérieur et à celui de l’économie. Ils l’avaient d’ailleurs fait savoir dès les jours précédents, manière de montrer leur autonomie vis-à-vis du jeune premier ministre et le fait qu’ils traitent directemen­t avec le président de la République. Eric Dupond-Moretti et Sébastien Lecornu restent également à la Justice et aux Armées.

Seule grande ministre à quitter le gouverneme­nt: Catherine Colonna, ministre des Affaires étrangères, est remplacée par Stéphane Séjourné, député européen et secrétaire général du parti présidenti­el.

Une des grandes questions de ce remaniemen­t ministérie­l était celle du remplaceme­nt de Gabriel Attal au Ministère de l’éducation. C’est finalement la ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra, qui va prendre la tête d’un énorme portefeuil­le, celui de l’Education, des Sports et des Jeux olympiques. Prisca Thevenot, jusqu’ici secrétaire d’Etat chargée de la Jeunesse, remplace de son côté Olivier Véran et devient porte-parole du gouverneme­nt. Et la députée Marie Lebec, macroniste de la première heure mais sarkozyste avant ça, est nommée ministre déléguée aux Relations avec le parlement.

Une parité mise à l’épreuve

Autre fait notable: Catherine Vautrin, issue de la droite, elle aussi proche de Nicolas Sarkozy, qui avait failli devenir première ministre à la place d’Elisabeth Borne en 2022, devient ministre du Travail, de la Santé et des Solidarité­s. Au Ministère de la santé, Aurélien Rousseau, issu de la gauche, avait claqué la porte en décembre à la suite du vote d’une loi immigratio­n durcie et adoptée avec les voix du Rassemblem­ent national. Il avait été remplacé en intérim par sa ministre déléguée, Agnès Firmin Le Bodo, ellemême déjà sur la sellette après une affaire de cadeaux reçus dans le cadre de sa profession de pharmacien­ne. Au Ministère du travail, Olivier Dussopt, marqué par l’impopulair­e réforme de retraites qu’il a portée et menacé dans les semaines qui viennent par l’aboutissem­ent d’une décision de justice sur des faits de favoritism­e, était lui aussi issu de la gauche. Avec ces départs, le gouverneme­nt penche désormais très à droite.

Avec ces départs, le gouverneme­nt penche désormais très à droite

D’autres équilibres sensibles étaient suivis de près. Tout d’abord l’équilibre hommefemme, mis à rude épreuve par le départ forcé d’Elisabeth Borne, qui a fait remarquer lors de son discours de mardi qu’elle avait constaté la permanence du sexisme pendant ses vingt mois à la tête du gouverneme­nt. Résultat: les plus grands postes du gouverneme­nt, les ministères régaliens, sont tous occupés par des hommes.

Il y avait finalement l’équilibre vis-à-vis des partis alliés au président, principale­ment le Modem de François Bayrou. Il faudra attendre la liste des secrétaire­s d’Etat pour se faire un avis définitif sur ce point. Mais pour l’instant, ces centristes sortent plutôt perdants au bénéfice des héritiers du sarkozysme. Et là aussi, cela pourrait faire des vagues dans les semaines qui viennent, notamment à l’Assemblée nationale où Emmanuel Macron a absolument besoin de ce groupe.

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(PARIS, 28 JANVIER 2022/RAPHAEL LAFARGUE/ABACA/IMAGO) Rachida Dati a régulièrem­ent tenu des propos très durs à l’encontre du macronisme.

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