Code de procédure pénale: une révision discutable
Le 1er janvier, le nouveau Code de procédure pénale (CPP) est entré en vigueur après qu’une majorité aux Chambres l’a adopté en juin 2022. Le sujet est important mais dédaigné du plus grand nombre tant ses termes et ses enjeux restent hermétiques aux profanes. Il est donc utile de tenter une vulgarisation de quelques points forts et de leurs conséquences, afin d’éclairer sur les intentions du législateur.
Tout d’abord, mentionnons le droit du prévenu d’assister à l’administration des preuves, procédure qu’il s’agissait initialement d’abroger. Sachez en effet que le présumé coupable ou son représentant est présent lors des auditions de ses complices ainsi que de celles des témoins et des victimes. En toute logique, les procureurs font valoir que cela nuit grandement à l’utilité des interrogatoires, avec le risque que le délinquant adapte sa version, que les coprévenus en fassent autant, compromettant l’efficacité de l’instruction, avec un risque évident de collusion. Qu’importe! Contre l’avis des professionnels de police, de la Conférence des procureurs de Suisse ou celui de la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter alors chargée du Département de justice et police, les Chambres se sont prononcées pour la sauvegarde des intérêts de la défense au nom de «l’égalité des armes». Notons ici que les avocats sont bien représentés au parlement (10% quand même) et qu’ils ont voté comme un seul homme en faveur de la loi.
Autre modification lourde de sens, l’introduction d’une audition obligatoire du prévenu lorsqu’une ordonnance pénale est susceptible de l’envoyer en prison. Cette procédure chronophage suscite l’incompréhension des Ministères publics, qui n’en perçoivent pas la plus-value mais plutôt le coût. Genève et Vaud estiment chacun que cette modification exigera environ 1000 audiences supplémentaires. Dans le canton de Vaud, ce sont d’ores et déjà trois postes de procureurs, assortis de deux collaborateurs chacun, qui ont été prévus. Pour ceux qui se plaignent déjà d’une justice lente car surchargée, c’est une véritable balle dans le pied.
Dans une interview parue dans Le Temps le 15 mars 2021, le procureur général du canton de Genève s’exprimait au nom de ses collègues: «Il y a une réelle préoccupation des procureurs par rapport à cette révision, car elle touche à notre outil de travail et donc à l’efficacité de la poursuite pénale. Elle pourrait avoir des conséquences négatives très concrètes sur la capacité à élucider des infractions. Si le parlement veut que la justice pénale fonctionne efficacement, il doit écouter ce que les procureurs ont à dire.» Il est vrai que, dans nos démocraties avancées, on invoque sans cesse l’Etat de droit, c’est-à-dire la prééminence des règles édictées. Mais, pour que la justice ne se retrouve pas ficelée comme Gulliver, il vaudrait mieux cesser de rajouter, couche après couche, des entraves à son exercice, toujours au profit des malfaiteurs, jamais au profit de la société. A ce sujet, le Swiss finish a encore frappé puisque le nouveau CPP va plus loin que les recommandations de la CEDH, pourtant très tatillonne en la matière.
Nonobstant, la plus récente Statistique policière de la criminalité portant sur l’année 2022 indique une augmentation de 10% des infractions pénales par rapport à 2021. Si les vols et escroqueries comptent pour beaucoup dans cette évolution, notons que les atteintes à la vie et à l’intégrité grimpent aussi de 6%, les lésions corporelles graves progressant de 17%. Si la situation était sous contrôle dans notre pays, cela pourrait éventuellement justifier de relâcher la vigilance et d’assouplir les procédures, mais ce n’est malheureusement pas le cas. En particulier, le canton de Genève enregistre une hausse de 15% des infractions pénales, ce qui explique que son procureur général soit particulièrement critique vis-à-vis de la réforme. Tout cela vient renforcer le sentiment bien ancré dans la population que ceux qui contreviennent à la loi passent entre les mailles d’un filet juridique trop enclin à les soutenir alors qu’à l’inverse, elle sait être intraitable à l’égard des fautes vénielles du commun des mortels. ■