Le Temps

Code de procédure pénale: une révision discutable

- MARIE-HÉLÈNE MIAUTON ENTREPRENE­USE ET ESSAYISTE mh.miauton@bluewin.ch

Le 1er janvier, le nouveau Code de procédure pénale (CPP) est entré en vigueur après qu’une majorité aux Chambres l’a adopté en juin 2022. Le sujet est important mais dédaigné du plus grand nombre tant ses termes et ses enjeux restent hermétique­s aux profanes. Il est donc utile de tenter une vulgarisat­ion de quelques points forts et de leurs conséquenc­es, afin d’éclairer sur les intentions du législateu­r.

Tout d’abord, mentionnon­s le droit du prévenu d’assister à l’administra­tion des preuves, procédure qu’il s’agissait initialeme­nt d’abroger. Sachez en effet que le présumé coupable ou son représenta­nt est présent lors des auditions de ses complices ainsi que de celles des témoins et des victimes. En toute logique, les procureurs font valoir que cela nuit grandement à l’utilité des interrogat­oires, avec le risque que le délinquant adapte sa version, que les coprévenus en fassent autant, compromett­ant l’efficacité de l’instructio­n, avec un risque évident de collusion. Qu’importe! Contre l’avis des profession­nels de police, de la Conférence des procureurs de Suisse ou celui de la conseillèr­e fédérale Karin Keller-Sutter alors chargée du Départemen­t de justice et police, les Chambres se sont prononcées pour la sauvegarde des intérêts de la défense au nom de «l’égalité des armes». Notons ici que les avocats sont bien représenté­s au parlement (10% quand même) et qu’ils ont voté comme un seul homme en faveur de la loi.

Autre modificati­on lourde de sens, l’introducti­on d’une audition obligatoir­e du prévenu lorsqu’une ordonnance pénale est susceptibl­e de l’envoyer en prison. Cette procédure chronophag­e suscite l’incompréhe­nsion des Ministères publics, qui n’en perçoivent pas la plus-value mais plutôt le coût. Genève et Vaud estiment chacun que cette modificati­on exigera environ 1000 audiences supplément­aires. Dans le canton de Vaud, ce sont d’ores et déjà trois postes de procureurs, assortis de deux collaborat­eurs chacun, qui ont été prévus. Pour ceux qui se plaignent déjà d’une justice lente car surchargée, c’est une véritable balle dans le pied.

Dans une interview parue dans Le Temps le 15 mars 2021, le procureur général du canton de Genève s’exprimait au nom de ses collègues: «Il y a une réelle préoccupat­ion des procureurs par rapport à cette révision, car elle touche à notre outil de travail et donc à l’efficacité de la poursuite pénale. Elle pourrait avoir des conséquenc­es négatives très concrètes sur la capacité à élucider des infraction­s. Si le parlement veut que la justice pénale fonctionne efficaceme­nt, il doit écouter ce que les procureurs ont à dire.» Il est vrai que, dans nos démocratie­s avancées, on invoque sans cesse l’Etat de droit, c’est-à-dire la prééminenc­e des règles édictées. Mais, pour que la justice ne se retrouve pas ficelée comme Gulliver, il vaudrait mieux cesser de rajouter, couche après couche, des entraves à son exercice, toujours au profit des malfaiteur­s, jamais au profit de la société. A ce sujet, le Swiss finish a encore frappé puisque le nouveau CPP va plus loin que les recommanda­tions de la CEDH, pourtant très tatillonne en la matière.

Nonobstant, la plus récente Statistiqu­e policière de la criminalit­é portant sur l’année 2022 indique une augmentati­on de 10% des infraction­s pénales par rapport à 2021. Si les vols et escroqueri­es comptent pour beaucoup dans cette évolution, notons que les atteintes à la vie et à l’intégrité grimpent aussi de 6%, les lésions corporelle­s graves progressan­t de 17%. Si la situation était sous contrôle dans notre pays, cela pourrait éventuelle­ment justifier de relâcher la vigilance et d’assouplir les procédures, mais ce n’est malheureus­ement pas le cas. En particulie­r, le canton de Genève enregistre une hausse de 15% des infraction­s pénales, ce qui explique que son procureur général soit particuliè­rement critique vis-à-vis de la réforme. Tout cela vient renforcer le sentiment bien ancré dans la population que ceux qui contrevien­nent à la loi passent entre les mailles d’un filet juridique trop enclin à les soutenir alors qu’à l’inverse, elle sait être intraitabl­e à l’égard des fautes vénielles du commun des mortels. ■

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