Le Temps

2023, un grand cru de faillites bancaires

- FRANÇOIS-VALÉRY LECOMTE, DIRECTEUR GÉNÉRAL BELFIUS ASSET MANAGEMENT ET CHARLES CUVELLIEZ, UNIVERSITÉ DE BRUXELLES; CHIEF INFORMATIO­N SECURITY OFFICER, BELFIUS

Rien ne s’est passé comme prévu en 2023: les faillites de Credit Suisse et de trois banques régionales américaine­s auront démontré l’inadéquati­on des mécanismes de sauvetage des banques mis au point à la suite de la grande crise financière de 2008. Ceux-ci devaient amener les actionnair­es et créanciers à supporter le poids des pertes comme dans tous les autres secteurs et non plus l’Etat.

L’adossement de Credit Suisse à UBS a eu lieu sans l’aval des actionnair­es: les autorités suisses prirent in extremis des décrets qui leur enlevaient temporaire­ment tous les droits. L’incertitud­e sur la réaction des marchés à l’annonce des pertes qu’allaient supporter les actionnair­es et détenteurs d’obligation­s a pesé tout comme l’accueil qu’aurait eu la nouvelle entité née des cendres de Credit Suisse. Ce sont les raisons qui ont été avancées pour écarter les mécanismes de résolution («bail-in»).

On aurait pu nationalis­er Credit Suisse («bailout») mais le caractère internatio­nal de Credit Suisse lui aurait opposé la résistance des autorités des autres pays, à commencer par les Américains qui ont fait pression sur la Suisse. Fondre Credit Suisse dans UBS était donc la seule voie possible.

Aux Etats-Unis, ce sont les faillites de trois banques de taille moyenne (Silicon Valley Bank ou SVB, Signature Bank, et First Republic Bank) qui auront finalement créé une crise systémique en dépit de leur taille limitée. Leur écosystème, spécialisé, formé d’une clientèle très particuliè­re de clients qui se parlent ou se fréquenten­t (entreprene­urs de la Silicon Valley pour SVB, clients très fortunés pour First Republic, amateurs de cryptomonn­aies pour Signature Bank), capables de réagir de concert, aura créé un mouvement de panique en résonance qui s’étendait déjà à d’autres banques de même taille.

Or ces banques, aux Etats-Unis contrairem­ent à l’Europe, font l’objet d’une surveillan­ce plus souple et de garanties bancaires moindres au point qu’en milieu de crise, les autorités annoncèren­t tout garantir sans limite (et sans succès).

Ces crises ont des origines différente­s mais ont toutes un point commun: une absence d’accès suffisant aux liquidités – l’oxygène des banques. Elles doivent être à portée de main, instantané­ment, peu importe leur origine: banques centrales, contributi­ons du secteur à des fonds pour assurer les dépôts, prêts fiscaux, etc. pour éviter que les banques ne doivent vendre à perte des actifs et tout perdre juste pour un mouvement de panique peut-être réversible. SVB avait la possibilit­é d’aspirer de grosses liquidités des autorités, une facilité qu’elle n’avait jamais testée techniquem­ent. En deux jours, c’était 40 milliards, puis 100 milliards que les clients retiraient en un clic de leur compte (avant que les autorités ne ferment la boutique).

Le Financial Stability Board (FSB), qui est à l’origine du mécanisme de résolution post-crise financière, explique un peu tristement, dans son rapport annuel sur la résolution, pourquoi il n’a pas été suivi et propose des adaptation­s. Les banques doivent se préparer, elles doivent pouvoir identifier et gérer à l’avance tout obstacle à mobiliser des liquidités, quel que soit leur volume. Il faut se connecter à toutes les formes de financemen­t possibles sans même devoir apporter du collatéral (des garanties). Le recours aux fonds publics interviend­ra évidemment en dernier ressort, mais il doit être prêt et testé.

Les autorités de chaque pays doivent mieux coopérer pour assumer ensemble le support aux banques transfront­alières en détresse, une allusion aux tensions entre autorités suisses et américaine­s. Il s’agit de donner aux autorités étrangères un accès immédiat et transparen­t aux données de la banque en détresse dans son pays d’origine.

Le FSB s’inquiète ensuite de champs inexplorés en 2008, comme le recours grandissan­t aux prestatair­es externes pour l’informatiq­ue des banques: que se passe-t-il si elle tombe en rade et devient la cause d’une crise de liquidité en mettant la banque à l’arrêt ou si les prestatair­es ne sont pas à la hauteur, en pleine crise quand on a besoin d’eux?

Les paiements numériques et les médias sociaux sont les grands absents des mécanismes de résolution qui doivent s’adapter à la vitesse de propagatio­n des premiers: instantané­s. Le FSB anticipera l’effet des innovation­s numériques (on pense aux blockchain­s) sur la résolution bancaire. Que se passera-t-il, en effet, en cas de défaut de fonctionne­ment d’une blockchain quand celles-ci seront plus présentes dans les opérations des banques? Que dire ensuite de la confiance qui ne revient pas toujours envers les entités qui résultent de la résolution, comme ce fut le cas des banques relais mises en place aux Etats-Unis pour reprendre les opérations des banques qui ont fait faillite? La filiale américaine de la banque ICBC peut en parler: victime d’une cyberattaq­ue, elle a peiné à retrouver ses clients (des banques).

Le rapport de l’autorité de contrôle suisse – la Finma – sur les causes de la faillite de Credit Suisse est explicite: elle l’a vue venir, mais n’avait pas les outils pour la prévenir. La bonne nouvelle: les constats sont clairs. Et si les leçons sont tirées, nos économies bénéficier­ont d’un système bancaire renforcé, permettant de jouer efficaceme­nt son rôle au coeur de l’économie. ■

Pour en savoir plus: 2023 Resolution Report, «Applying lessons learnt», FSB, 15 décembre 2023

Toutes ces crises ont un point commun: une absence d’accès suffisant aux liquidités

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