2023, un grand cru de faillites bancaires
Rien ne s’est passé comme prévu en 2023: les faillites de Credit Suisse et de trois banques régionales américaines auront démontré l’inadéquation des mécanismes de sauvetage des banques mis au point à la suite de la grande crise financière de 2008. Ceux-ci devaient amener les actionnaires et créanciers à supporter le poids des pertes comme dans tous les autres secteurs et non plus l’Etat.
L’adossement de Credit Suisse à UBS a eu lieu sans l’aval des actionnaires: les autorités suisses prirent in extremis des décrets qui leur enlevaient temporairement tous les droits. L’incertitude sur la réaction des marchés à l’annonce des pertes qu’allaient supporter les actionnaires et détenteurs d’obligations a pesé tout comme l’accueil qu’aurait eu la nouvelle entité née des cendres de Credit Suisse. Ce sont les raisons qui ont été avancées pour écarter les mécanismes de résolution («bail-in»).
On aurait pu nationaliser Credit Suisse («bailout») mais le caractère international de Credit Suisse lui aurait opposé la résistance des autorités des autres pays, à commencer par les Américains qui ont fait pression sur la Suisse. Fondre Credit Suisse dans UBS était donc la seule voie possible.
Aux Etats-Unis, ce sont les faillites de trois banques de taille moyenne (Silicon Valley Bank ou SVB, Signature Bank, et First Republic Bank) qui auront finalement créé une crise systémique en dépit de leur taille limitée. Leur écosystème, spécialisé, formé d’une clientèle très particulière de clients qui se parlent ou se fréquentent (entrepreneurs de la Silicon Valley pour SVB, clients très fortunés pour First Republic, amateurs de cryptomonnaies pour Signature Bank), capables de réagir de concert, aura créé un mouvement de panique en résonance qui s’étendait déjà à d’autres banques de même taille.
Or ces banques, aux Etats-Unis contrairement à l’Europe, font l’objet d’une surveillance plus souple et de garanties bancaires moindres au point qu’en milieu de crise, les autorités annoncèrent tout garantir sans limite (et sans succès).
Ces crises ont des origines différentes mais ont toutes un point commun: une absence d’accès suffisant aux liquidités – l’oxygène des banques. Elles doivent être à portée de main, instantanément, peu importe leur origine: banques centrales, contributions du secteur à des fonds pour assurer les dépôts, prêts fiscaux, etc. pour éviter que les banques ne doivent vendre à perte des actifs et tout perdre juste pour un mouvement de panique peut-être réversible. SVB avait la possibilité d’aspirer de grosses liquidités des autorités, une facilité qu’elle n’avait jamais testée techniquement. En deux jours, c’était 40 milliards, puis 100 milliards que les clients retiraient en un clic de leur compte (avant que les autorités ne ferment la boutique).
Le Financial Stability Board (FSB), qui est à l’origine du mécanisme de résolution post-crise financière, explique un peu tristement, dans son rapport annuel sur la résolution, pourquoi il n’a pas été suivi et propose des adaptations. Les banques doivent se préparer, elles doivent pouvoir identifier et gérer à l’avance tout obstacle à mobiliser des liquidités, quel que soit leur volume. Il faut se connecter à toutes les formes de financement possibles sans même devoir apporter du collatéral (des garanties). Le recours aux fonds publics interviendra évidemment en dernier ressort, mais il doit être prêt et testé.
Les autorités de chaque pays doivent mieux coopérer pour assumer ensemble le support aux banques transfrontalières en détresse, une allusion aux tensions entre autorités suisses et américaines. Il s’agit de donner aux autorités étrangères un accès immédiat et transparent aux données de la banque en détresse dans son pays d’origine.
Le FSB s’inquiète ensuite de champs inexplorés en 2008, comme le recours grandissant aux prestataires externes pour l’informatique des banques: que se passe-t-il si elle tombe en rade et devient la cause d’une crise de liquidité en mettant la banque à l’arrêt ou si les prestataires ne sont pas à la hauteur, en pleine crise quand on a besoin d’eux?
Les paiements numériques et les médias sociaux sont les grands absents des mécanismes de résolution qui doivent s’adapter à la vitesse de propagation des premiers: instantanés. Le FSB anticipera l’effet des innovations numériques (on pense aux blockchains) sur la résolution bancaire. Que se passera-t-il, en effet, en cas de défaut de fonctionnement d’une blockchain quand celles-ci seront plus présentes dans les opérations des banques? Que dire ensuite de la confiance qui ne revient pas toujours envers les entités qui résultent de la résolution, comme ce fut le cas des banques relais mises en place aux Etats-Unis pour reprendre les opérations des banques qui ont fait faillite? La filiale américaine de la banque ICBC peut en parler: victime d’une cyberattaque, elle a peiné à retrouver ses clients (des banques).
Le rapport de l’autorité de contrôle suisse – la Finma – sur les causes de la faillite de Credit Suisse est explicite: elle l’a vue venir, mais n’avait pas les outils pour la prévenir. La bonne nouvelle: les constats sont clairs. Et si les leçons sont tirées, nos économies bénéficieront d’un système bancaire renforcé, permettant de jouer efficacement son rôle au coeur de l’économie. ■
Pour en savoir plus: 2023 Resolution Report, «Applying lessons learnt», FSB, 15 décembre 2023
Toutes ces crises ont un point commun: une absence d’accès suffisant aux liquidités