Pretoria détaille son accusation de génocide
MOYEN-ORIENT Une équipe de juristes, au nom de l’Afrique du Sud, tente de convaincre la Cour de justice internationale d’ordonner la fin de l’assaut israélien contre Gaza
D’un côté, les rangs nourris de l’équipe de juristes sud-africains, revêtus pour la plupart d’une écharpe aux couleurs de leur pays. De l’autre, leurs alter ego israéliens, le visage le plus souvent impassible, dont le tour de parole viendra ce vendredi. Face à eux tous, sur une longue tribune, les 15 juges de la Cour de justice internationale (CIJ), l’organe judiciaire suprême des Nations unies. Il régnait, jeudi au Palais de la Paix de La Haye, une ambiance de grande gravité, perceptible même à distance, à travers les écrans. Parfois même, les larmes effleuraient, et les intervenants devaient s’interrompre quelques secondes pour laisser s’atténuer l’émotion. Un génocide est-il en cours à Gaza? Ce sera aux juges, réunis autour de la présidente américaine, Joan Donoghue, de l’établir.
«Le droit le plus absolu»: échapper au génocide
Les membres de la représentation sud-africaine se sont succédé, se fondant principalement sur le document, long de 84 pages, soumis à la fin de l’année dernière par Pretoria avec un caractère d’urgence. Il s’agit pour la Cour, résumait l’un d’entre eux, d’assurer la nécessité de protéger les Palestiniens de «leur droit le plus absolu»: celui de ne pas devenir victimes d’un génocide conduit par Israël.
Plutôt que de se prononcer sur l’existence d’un tel génocide (ce qui prendra des années), ces auditions visent à savoir si la Cour de justice internationale ordonnera l’arrêt des hostilités à Gaza, afin que le «plus abominable des crimes» ne puisse pas se produire.
John Dugard, figure de la fin de l’apartheid et ancien rapporteur spécial de l’ONU pour la Palestine, a justifié le fait que l’Afrique du Sud amène ce dossier devant le tribunal: «Les histoires de ces deux peuples sont pleines de souffrances», jugeait celui qui reste une autorité incontestée dans son pays, du haut de ses 87 ans. Face aux très nombreuses interpellations, accusations, mises en garde ou notes verbales adressées par l’Afrique du Sud ces trois derniers mois dans toutes les enceintes internationales, Israël est resté de marbre. Pretoria en est donc arrivée à cette conclusion, selon le juriste: «Israël a échoué à s’emparer de cette question et à prévenir un génocide.» Ne reste donc que le recours à la CIJ, garante du respect de la Convention sur le génocide, conclue en 1948 pour prévenir ou punir tout acte comparable à la Shoah.
Treize Etats ont déjà rejoint l’Afrique du Sud dans sa démarche, auxquels s’ajoutent l’Organisation de la coopération islamique (57 Etats membres) et la Ligue arabe (22 membres). L’équipe sud-africaine a insisté autant sur la magnitude des bombardements israéliens que sur la rapidité avec laquelle le nombre de victimes ne cesse de croître (plus de 20 000 morts) et les conditions de survie empirent.
Aide humanitaire entravée, absence d’eau et d’aliments, centaines de milliers de personnes déplacées et autant d’enfants dont les écoles ont été rasées, employés de l’ONU et journalistes tués par dizaines, familles entières décimées, hôpitaux détruits, opérations et césariennes effectuées désormais sans anesthésie… L’équipe sud-africaine n’a eu aucune peine à recueillir les déclarations des plus hauts responsables de l’ONU ou des organisations humanitaires qui ont comparé Gaza à «un enfer sur terre», à «un lieu de mort et de désespoir» ou à «un bain de sang».
«C’est la réputation même du droit international qui est aujourd’hui en jeu», en est venue à dire, au nom de l’Afrique du Sud, la juriste irlandaise Blinne Ni Ghralaigh, particulièrement émue. Nous assistons «au premier génocide de l’Histoire dans lequel les victimes diffusent (sur internet) leur propre destruction en direct. Dans l’espoir désespéré, et vain jusqu’ici, que le monde puisse faire quelque chose.»
Depuis quelques jours, les autorités politiques et militaires israéliennes, premier ministre Benyamin Netanyahou en tête, s’emploient à multiplier les messages assurant du respect du droit international par l’Etat hébreu. Lequel a aussi ouvert jeudi un site internet destiné à dévoiler les images du massacre commis par le Hamas le 7 octobre. Ce sera notamment à l’ancien président de la Cour suprême d’Israël, Aharon Barak, de convaincre la CIJ ce vendredi du bien-fondé de ces arguments. Un Aharon Barak qui jusqu’à récemment, en tant que fervent opposant à la réforme de la Cour suprême israélienne, était accusé d’être «un ennemi du peuple» par le camp de Benyamin Netanyahou.
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«C’est la réputation même du droit international qui est aujourd’hui en jeu» BLINNE NI GHRALAIGH, JURISTE IRLANDAISE