Nettoyer la mer Noire de ses mines, la gageure des riverains
La Turquie, la Bulgarie et la Roumanie se sont engagées hier à débarrasser les eaux des centaines d’engins explosifs largués par la Russie et l’Ukraine depuis le début de la guerre. Enjeu stratégique et militaire, l’espace maritime déchiré entre les sphèr
XLutter contre les mines qui dérivent en mer Noire. Jeudi, les trois pays de l’OTAN qui bordent l’espace maritime, se sont alliés pour protéger la navigation internationale et sécuriser les exportations de céréales ukrainiennes qui naviguent le long des côtes roumaines et bulgares, une voie alternative mise en place après la fin du corridor céréalier dénoncé par la Russie à l’été 2023. Peu après, la Turquie avait créé un Groupe naval de lutte contre les mines en mer Noire (MCM Black Sea), auquel se sont finalement jointes la Bulgarie et la Roumanie après cinq mois de négociations. Chacun prendra tour à tour la présidence de cette initiative pour six mois.
Nouveau rideau de fer
Soucieuse de respecter la Convention de Montreux signée en 1936 qui régit la navigation dans le Bosphore en temps de guerre, l’entente trilatérale a précisé que l’initiative ne sera ouverte «qu’aux navires des trois pays alliés côtiers», excluant l’intervention de pays extérieurs, dont ceux de l’OTAN.
Dès le 24 février 2022, la Russie et l’Ukraine, tous deux riverains de la mer Noire au nord, ont disposé des mines pour protéger leurs côtes. La crainte est vite apparue de voir ces dernières se détacher sous l’effet notamment des tempêtes. Fin décembre, un cargo battant pavillon panaméen qui se dirigeait vers un port ukrainien pour y charger des céréales a heurté une mine et deux marins ont été blessés.
Depuis la fin de la Guerre froide, la mer Noire est l’espace maritime qui a concentré le plus grand nombre de conflits. L’élargissement de l’OTAN et la mise sous tutelle russe de l’Abkhazie en 2008, puis l’annexion de la Crimée en 2014 l’ont transformée en nouveau rideau de fer, ses flots se retrouvant déchirés par les sphères d’influence russes ou occidentales. Avec désormais la guerre entre l’Ukraine et la Russie, la mer Noire s’est muée en un enjeu stratégique et militaire majeur au centre des attentions.
C’est via cette dernière que Moscou a envahi le sud-est de l’Ukraine et qu’il bombarde les villes plus ou moins proches du front. Mais le rapport de force semble être en train de changer. En 2023, malgré une ligne de front quasiment statique sur le terrain, Volodymyr Zelensky peut se targuer d’un succès militaire particulièrement important: grâce à des attaques ingénieuses et inattendues, l’Ukraine a réussi à repousser la flotte russe de ses côtes en détruisant plusieurs de ses vaisseaux. Dernier en date? Le grand navire de débarquement Novotcherkassk, soupçonné de transporter des drones explosifs iraniens Shahed massivement utilisés par la Russie, a été bombardé fin décembre par l’armée de l’air ukrainienne près de Feodossia, en Crimée occupée. Moscou a, de son côté, reconnu «quelques dégâts».
Une flotte russe neutralisée?
L’Ukraine a réussi à repousser la flotte russe de ses côtes en détruisant plusieurs de ses vaisseaux
Ces dernières semaines, les attaques ukrainiennes se concentrent d’ailleurs sur la Crimée. Le pan naval est le point faible de Moscou: la Turquie, passée maîtresse du jeu en mer Noire, n’autorise aucun renforcement des flottes russes et ukrainiennes et bloque ses détroits, comme le demande la Convention de Montreux. Et sans réapprovisionnement depuis le début de la guerre, la puissance navale russe en mer Noire pourrait rapidement être neutralisée. Avant une attaque contre le pont de Kertch? Selon les observateurs, l’Ukraine pourrait viser la destruction du passage reliant Moscou à la Crimée afin d’isoler la péninsule et les troupes russes au sud.
En outre, l’Ukraine défie avec succès le blocus imposé par la Russie à ses navires. Faisant fi des menaces de Moscou de viser les bateaux arrivant dans les ports ukrainiens ou les quittant, «469 navires» et «15 millions de tonnes de produits» ont été transportés depuis la mise en place de ce nouveau couloir maritime en août, a indiqué lundi dernier le ministre ukrainien des Infrastructures, Oleksandre Koubrakov. L’année précédente, l’accord céréalier auquel participait Moscou avait permis l’exportation de presque 33 millions de tonnes de céréales ukrainiennes. Au moins 25 pays africains importent plus du tiers de leur blé d’Ukraine ou de Russie et 15 d’entre eux en importent plus de la moitié, selon l’ONU. Avant la guerre, près de 40% des céréales du monde passaient par la mer Noire. ■