«Une nouvelle attaque aérienne se prépare sur les villes ukrainiennes»
L’expert militaire ukrainien Oleksiy Melnyk estime que la Russie entend terroriser les populations civiles. En conséquence, il explique qu’il faut s’attendre à de nouvelles salves de missiles imminentes
Les images montrent un hôtel dévasté à la suite de l’explosion d’un missile dans la soirée du mercredi 10 janvier. Cet établissement de Kharkiv, deuxième plus grande ville d’Ukraine, était notamment fréquenté par des journalistes.
Treize personnes ont été blessées dans ce qui ressemble, selon les premiers éléments de l’enquête, à une frappe délibérée contre une infrastructure civile: deux missiles S-300 auraient explosé, l’un sur l’hôtel, l’autre à quelques mètres sur le parking.
Une semaine auparavant, le 2 janvier, une centaine de missiles ont visé Kiev dans ce qui a été la pire attaque aérienne depuis le début de la guerre à grande échelle. D’après les dires d’Oleksiy Melnyk, ancien militaire et expert au Razumkov Center, un think tank basé dans la capitale ukrainienne, Moscou cherche à terroriser les populations civiles.
«Moscou cherche avant tout à terroriser les Ukrainiens à un moment où le découragement et la lassitude guettent»
Pourquoi les Russes privilégient-ils désormais les missiles pour attaquer l’Ukraine comme cela a été le cas le 2 janvier? Les tirs de missiles qui ont frappé Kiev de manière massive n’étaient pas inattendus. Depuis des mois, les Russes avaient recours à des drones Shahed plutôt qu’à des missiles. Ils économisaient ces derniers pour les amasser en vue d’assauts massifs. La question n’était pas de savoir s’ils mèneraient pareille attaque mais quand ils le feraient.
Pourquoi maintenant? Il faut prendre en compte la météo qui était plutôt clémente en décembre. Il fait -10 °C à Kiev aujourd’hui et on attend -15 °C pour la semaine prochaine. Plus il fait froid, plus l’impact de ces frappes sur les infrastructures civiles pèse sur la population ukrainienne. Car Moscou cherche avant tout à terroriser les Ukrainiens à un moment où le découragement et la lassitude guettent. Les premières heures du 2 janvier ont été cauchemardesques. Terrifiantes. Les explosions se suivaient. C’était sans fin.
Les infrastructures civiles étaient-elles les seules visées? Difficile de le dire puisque la grande majorité des missiles tirés ont été interceptés et le gouvernement maintient le secret sur les cibles effectivement atteintes. Mais, on peut dire que c’était pour moitié des cibles civiles et pour moitié des militaires: dépôts de munitions, entrepôts d’équipements ou systèmes de défense antiaérienne.
Quelles conséquences pour l’armée ukrainienne? Les Russes fatiguent notre défense antiaérienne. Je ne sais pas combien il reste de missiles Patriot, qui se montrent très efficaces, mais les stocks s’amenuisent. Les Russes ont quant à eux encore assez de missiles pour effectuer deux ou trois attaques de ce genre. Il arrivera un moment où notre défense antiaérienne devra choisir entre telle ou telle menace: intercepter un drone Shahed ou un missile Kinjal? Protéger cette infrastructure plutôt que celle-là? Ce seront des choix difficiles.
Doit-on craindre de nouvelles salves de missiles sur les villes d’Ukraine? La question n’est pas de savoir si cela adviendra mais quand. L’année dernière à la même période, les Russes ont visé nos infrastructures civiles avec leurs missiles. Il s’écoulait entre une semaine et dix jours entre chaque attaque. Les dernières attaques aériennes étaient d’une plus grande ampleur, les Russes les avaient soigneusement préparées, mais il leur faut quelques jours entre deux attaques. Au minimum deux ou trois jours. Dès les jours prochains, on pourrait voir une autre pluie de missiles de grande ampleur.
L’armée ukrainienne a-t-elle besoin de plus de systèmes de défense antiaérienne comme les Patriot? Il est impossible de protéger complètement un territoire grand comme l’Ukraine, tous les systèmes disponibles en Europe n’y suffiraient pas. Il faut s’attaquer à la source, viser les rampes de lancement là où elles se trouvent. Il nous faut des missiles de longue portée pour détruire leurs entrepôts de missiles et leurs aéroports militaires.
Vladimir Poutine a présenté les frappes du 2 janvier comme une réponse à l’attaque sur Belgorod? De nombreux civils sont morts à Belgorod le 30 décembre. Vladimir Poutine a tout de suite pointé du doigt les Ukrainiens, responsables, selon lui, du massacre. Or, dans les débris filmés, on voit les restes de missiles sol-air S-300. Tout laisse supposer que c’est la défense antiaérienne russe qui serait indirectement la cause du décès des civils. En présentant la frappe du 2 janvier comme une réponse légitime, Poutine exonère son armée de sa responsabilité. Les attaques sur Kharkiv sont pour beaucoup menées avec des missiles tirés depuis l’agglomération de Belgorod. Les forces russes recourent à des missiles sol-air S-300, détournés de leur fonction antiaérienne initiale pour être transformés en missiles sol-sol de précision. ■