La surveillance des communications continue à soulever des questions
Malgré le démenti formel des autorités après la diffusion d’une enquête du média Republik, des pratiques liées à l’exploration du réseau câblé mériteraient des clarifications
C’est une question importante qui agite les esprits depuis les révélations de Republik: quelle est l’ampleur de la surveillance d’internet mise en oeuvre par le Service de renseignement de la Confédération (SRC)?
Selon l’enquête du média alémanique, l’exploration du réseau câblé ne peut pas viser uniquement des communications de l’étranger, contrairement à ce qu’affirme le SRC. Pourquoi? Car internet est un réseau globalisé, et ses frontières ne sont pas celles d’un Etat comme la Suisse.
Internet n’a pas de frontière
Prenons un exemple. Un Genevois utilise WhatsApp pour envoyer un message à un ami qui se trouve à Fribourg. Tous deux sont donc en Suisse. Pourtant, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, les paquets de données ne seront pas transmis directement d’un appareil à l’autre. Ils vont transiter par un serveur, qui va ensuite les rediriger vers le destinataire. Dans le cas de WhatsApp, la communication effectuera donc un trajet qui passera par l’étranger.
Dans ces circonstances, le trafic qui concerne le territoire national peut être malgré tout analysé par le Centre des opérations électroniques à Zimmerwald, chargé de filtrer ce qui est pertinent pour le SRC et ce qui ne l’est pas. Pour Stéphane Duguin, ancien cadre d’Europol et directeur du CyberPeace Institute, une ONG basée à Genève, cela signifie donc que des personnes pourront consulter des communications qu’elles n’auraient pas dû voir.
De son côté, le SRC affirme qu’il ne reçoit pas de messages qui ne respectent pas les critères fixés par le mandat de recherche. Ce dernier doit d’ailleurs faire l’objet d’une autorisation du Tribunal administratif fédéral ainsi que de trois conseillers fédéraux. Les mots clés utilisés par le SRC doivent être précis, et ne peuvent pas contenir des noms de personnes physiques ou morales suisses.
Des recherches rétrospectives
Mais pour savoir si des échanges qui contiennent ces mots clés sont pertinents pour la mission du SRC, ils doivent bien être filtrés par les analystes du Centre des opérations électroniques. Il y a donc bien un intérêt pour la population de savoir que ses propres communications peuvent être déviées vers le village bernois de Zimmerwald, quand bien même celles-ci ne seront pas transmises au SRC, ni conservées.
De plus, selon l’enquête de Republik, le Service de renseignement conserverait plus de données que prévu, ceci afin de mener des recherches rétrospectives. Dans un document produit par le média alémanique, le SRC indiquerait que certains échanges qui ne sont pas pertinents au moment où ils sont récoltés pourraient tout à fait le devenir a posteriori. Une pratique qui évidemment soulève des questions quant aux limites qui peuvent s’imposer devant une telle logique.
Les autorités démentent formellement les éléments avancés par Republik. Dans l’émission Forum de la RTS, la conseillère nationale Jacqueline de Quattro (PLR/VD) a estimé pour sa part que le SRC faisait l’objet d’une méfiance exagérée à l’égard de son action, rappelant que son mandat concerne l’étranger et non pas la Suisse. Elle a aussi insisté sur l’existence de garde-fous.
Une zone grise
C’est précisément vers les instances chargées du contrôle du SRC qu’il faut désormais se tourner. La Délégation des commissions de gestion du parlement suisse exerce la haute surveillance du Service de renseignement. Celle-ci a donc les moyens de délivrer des informations qui pourraient permettre de mesurer l’ampleur de la surveillance d’internet en Suisse. Le tout sans trahir de secret qui mettrait en péril les recherches menées par le SRC.
Combien de mandats de recherche sont délivrés en moyenne chaque année depuis l’introduction de l’exploration du réseau câblé dans l’arsenal du SRC en 2017? Quel volume de données est analysé par le Centre des opérations électroniques? Est-ce que des inspections ont eu lieu sur site pour vérifier la bonne conduite de ces méthodes de surveillance?
Comme le soulignait le conseiller national Jean-Luc Addor (UDC/VS) dans les colonnes du Temps, la mission même d’un service de renseignement implique l’existence d’une zone grise. La taille de cette dernière est malgré tout sujet à débat, d’où l’importance de donner le maximum d’informations sur les conséquences de l’action du SRC sur la confidentialité des communications de la population. ■
Quel volume de données est analysé par le Centre des opérations électroniques?