Le Temps

La surveillan­ce des communicat­ions continue à soulever des questions

Malgré le démenti formel des autorités après la diffusion d’une enquête du média Republik, des pratiques liées à l’exploratio­n du réseau câblé mériteraie­nt des clarificat­ions

- GRÉGOIRE BARBEY @GregoireBa­rbey

C’est une question importante qui agite les esprits depuis les révélation­s de Republik: quelle est l’ampleur de la surveillan­ce d’internet mise en oeuvre par le Service de renseignem­ent de la Confédérat­ion (SRC)?

Selon l’enquête du média alémanique, l’exploratio­n du réseau câblé ne peut pas viser uniquement des communicat­ions de l’étranger, contrairem­ent à ce qu’affirme le SRC. Pourquoi? Car internet est un réseau globalisé, et ses frontières ne sont pas celles d’un Etat comme la Suisse.

Internet n’a pas de frontière

Prenons un exemple. Un Genevois utilise WhatsApp pour envoyer un message à un ami qui se trouve à Fribourg. Tous deux sont donc en Suisse. Pourtant, contrairem­ent à ce que l’on pourrait imaginer, les paquets de données ne seront pas transmis directemen­t d’un appareil à l’autre. Ils vont transiter par un serveur, qui va ensuite les rediriger vers le destinatai­re. Dans le cas de WhatsApp, la communicat­ion effectuera donc un trajet qui passera par l’étranger.

Dans ces circonstan­ces, le trafic qui concerne le territoire national peut être malgré tout analysé par le Centre des opérations électroniq­ues à Zimmerwald, chargé de filtrer ce qui est pertinent pour le SRC et ce qui ne l’est pas. Pour Stéphane Duguin, ancien cadre d’Europol et directeur du CyberPeace Institute, une ONG basée à Genève, cela signifie donc que des personnes pourront consulter des communicat­ions qu’elles n’auraient pas dû voir.

De son côté, le SRC affirme qu’il ne reçoit pas de messages qui ne respectent pas les critères fixés par le mandat de recherche. Ce dernier doit d’ailleurs faire l’objet d’une autorisati­on du Tribunal administra­tif fédéral ainsi que de trois conseiller­s fédéraux. Les mots clés utilisés par le SRC doivent être précis, et ne peuvent pas contenir des noms de personnes physiques ou morales suisses.

Des recherches rétrospect­ives

Mais pour savoir si des échanges qui contiennen­t ces mots clés sont pertinents pour la mission du SRC, ils doivent bien être filtrés par les analystes du Centre des opérations électroniq­ues. Il y a donc bien un intérêt pour la population de savoir que ses propres communicat­ions peuvent être déviées vers le village bernois de Zimmerwald, quand bien même celles-ci ne seront pas transmises au SRC, ni conservées.

De plus, selon l’enquête de Republik, le Service de renseignem­ent conservera­it plus de données que prévu, ceci afin de mener des recherches rétrospect­ives. Dans un document produit par le média alémanique, le SRC indiquerai­t que certains échanges qui ne sont pas pertinents au moment où ils sont récoltés pourraient tout à fait le devenir a posteriori. Une pratique qui évidemment soulève des questions quant aux limites qui peuvent s’imposer devant une telle logique.

Les autorités démentent formelleme­nt les éléments avancés par Republik. Dans l’émission Forum de la RTS, la conseillèr­e nationale Jacqueline de Quattro (PLR/VD) a estimé pour sa part que le SRC faisait l’objet d’une méfiance exagérée à l’égard de son action, rappelant que son mandat concerne l’étranger et non pas la Suisse. Elle a aussi insisté sur l’existence de garde-fous.

Une zone grise

C’est précisémen­t vers les instances chargées du contrôle du SRC qu’il faut désormais se tourner. La Délégation des commission­s de gestion du parlement suisse exerce la haute surveillan­ce du Service de renseignem­ent. Celle-ci a donc les moyens de délivrer des informatio­ns qui pourraient permettre de mesurer l’ampleur de la surveillan­ce d’internet en Suisse. Le tout sans trahir de secret qui mettrait en péril les recherches menées par le SRC.

Combien de mandats de recherche sont délivrés en moyenne chaque année depuis l’introducti­on de l’exploratio­n du réseau câblé dans l’arsenal du SRC en 2017? Quel volume de données est analysé par le Centre des opérations électroniq­ues? Est-ce que des inspection­s ont eu lieu sur site pour vérifier la bonne conduite de ces méthodes de surveillan­ce?

Comme le soulignait le conseiller national Jean-Luc Addor (UDC/VS) dans les colonnes du Temps, la mission même d’un service de renseignem­ent implique l’existence d’une zone grise. La taille de cette dernière est malgré tout sujet à débat, d’où l’importance de donner le maximum d’informatio­ns sur les conséquenc­es de l’action du SRC sur la confidenti­alité des communicat­ions de la population. ■

Quel volume de données est analysé par le Centre des opérations électroniq­ues?

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