Pouvoir: faucille paysanne contre marteau ouvrier
Il faut préserver la coutume de l’Epiphanie. Sans les chameaux, bien sûr, que la loi sur la protection des animaux nous empêche de promener dans les lieux où se partage la galette. La fête des Rois nous rappelle combien le pouvoir est fragile et éphémère et à quelle rapidité les couronnes de papier changent de têtes.
Au temps jadis, au moins savait-on qui gouvernait la Suisse: le Parti radical démocratique. C’est du moins l’assertion que l’on prête à celui qui était, en 1983, président du grand parti fondateur de la Suisse moderne, Yann Richter, artisan de l’élection d’Otto Stich au Conseil fédéral, à la place de la socialiste Lilian Uchtenhagen. Mais où, en 2024, réside le pouvoir en Suisse? Quelle est la personnalité la plus puissante du pays?
Les Alémaniques en tiennent pour Markus Ritter, président de l’Union suisse des paysans et conseiller national (Le Centre) saint-gallois. Les Romands pour Pierre-Yves Maillard, président de l’Union syndicale suisse et conseiller aux Etats (PS) vaudois. La faucille paysanne contre le marteau ouvrier. On notera au passage l’absence dans ce classement de la présidente de la Confédération qui, un peu impressionnée par la tâche qui l’attendait, a semblé d’entrée refiler la patate chaude: «Une responsabilité partagée est moins lourde à porter», a-t-elle espéré dans son allocution de Nouvel An.
Markus Ritter a pour lui d’être à la tête du puissant lobby agricole: 48 000 paysans seulement, mais 40 sièges sur les 246 des deux Chambres fédérales (LT du 06.01.2024). On a vu, il y a deux ans, comment la conservatrice Union suisse des paysans a su se transformer en machine de campagne inarrêtable contre les deux initiatives écologistes anti-pesticides.
Mais, en cette année 2024, Pierre-Yves Maillard est dans toutes les têtes. On ne voit que lui dans les médias. On ne pense qu’à lui dans les cercles du pouvoir et les partis politiques. A cause de sa capacité de bloquer le paquet de négociations avec l’UE. Mais aussi en raison du vent favorable, pour l’instant, à l’initiative syndicale pour une 13e rente AVS. Avec, à venir dans l’année, le texte pour limiter à 10% du revenu les primes d’assurance maladie.
Pierre-Yves Maillard, en homme de pouvoir, attaque sur tous les fronts, à la hussarde, avec rudesse et fougue. C’est lui qui impose le sujet, le rythme et surtout la dureté du ton. On reconnaît l’influence d’une personnalité, et donc son pouvoir réel, à sa capacité d’amener ses adversaires, notamment les têtes de files du PLR et une partie de l’UDC, sur le terrain qu’il a lui-même choisi: le pouvoir d’achat de la classe moyenne.
Derrière l’opposition du président de l’USS aux grandes lignes de négociation avec l’UE – niveau des indemnisations pour les travailleurs détachés, opposition à la libéralisation du marché de l’électricité et du transport ferroviaire – se joue en réalité, sur le plan intérieur, un bras de fer, un powerplay, dit-on à Zurich, avec la majorité de droite du parlement, le patronat et la faîtière des grandes entreprises, Economiesuisse, pour le pouvoir réel.
L’USS attend que la droite et le patronat lâchent sur la généralisation du salaire minimum et l’extension du champ d’application des conventions collectives. Si le leader paysan est sans nul doute le conseiller national le plus puissant du parlement, le syndicaliste, jusqu’au résultat des votations, reste la personnalité la plus influente et la plus incontournable du pays. En 2024, les urnes diront si le pouvoir est passé en mains syndicales.
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