Quand Kim Jong-un inspecte ses usines de missiles, d’obus et d’oeufs
Adéfaut de pouvoir parler avec des Nord-Coréens, il faut suivre l’agence officielle KCNA. Cette semaine, plusieurs dépêches indiquaient une activité débordante du «camarade» Kim Jong-un. Le secrétaire général du Parti des travailleurs de Corée a entamé une tournée d’inspection d’usines qualifiées de stratégiques. A chaque fois accompagné de sa «fille respectée», précise l’agence de presse. Le 5 janvier, il visitait ainsi une fabrique de missiles et de lance-missiles. Le leader s’est dit satisfait d’une hausse de la production grâce au «zèle patriotique» des ouvriers. Même discours les 8 et 9 janvier lors de rencontres avec les responsables d’usines d’obus et de munitions. Il est fait état d’un «grand bond» pour atteindre des objectifs «révolutionnaires» dans une vision de «long terme».
Le 7 janvier, Kim III, fils de Kim Jong-il et petit-fils de Kim Il-sung, le fondateur de la première dynastie communiste, a mené une inspection de terrain à Kwangchon dans la municipalité de Pyongyang pour inaugurer une ferme de production de poulets et d’oeufs. Il s’agit d’un «nouveau modèle» d’élevage «scientifique et automatique» qui doit répondre au plan du parti pour satisfaire les «besoins diététiques» de la population, relate une longue dépêche. Des missiles, des obus et des oeufs donc. Il s’agit très précisément de ce dont la Russie a le plus besoin en ce début d’année. L’on sait que Pyongyang ravitaille Moscou en munitions pour son front ukrainien depuis plus d’une année. Au fil de l’épuisement des stocks russes, la demande augmente. Il en va de même pour les missiles dont des débris d’exemplaires nord-coréens ont été retrouvés dans les villes ukrainiennes massivement visées depuis Noël.
Le front des oeufs est nouveau. Face à l’inflation des denrées alimentaires provoquée par les sanctions occidentales, les Russes se sont rués fin 2023 sur les oeufs, dont le prix a explosé. Au point que Vladimir Poutine a dû promettre à ses concitoyens de rétablir l’approvisionnement dans les meilleurs délais. Grâce aux poules nord-coréennes? Pyongyang et Moscou nient tout commerce d’armes alors que la Corée du Nord est sous sanctions de l’ONU pour ses essais nucléaires. On scrutera les statistiques du commerce russe pour les oeufs. Mais il se pourrait bien que la Corée du Nord, qui est en mode d’économie de guerre depuis des décennies, s’inscrive résolument dans une logique de complémentarité avec la Russie depuis la rencontre entre Kim Jong-un et Vladimir Poutine l’automne dernier.
Cette réorientation stratégique semble se vérifier à la lecture d’une autre dépêche de KCNA qui relatait, le 31 décembre, la dernière réunion du Parti des travailleurs. Plusieurs changements significatifs ont été actés en plénum. Contrairement à ce qui était l’objectif depuis l’armistice de 1953, Pyongyang ne vise plus une réunification avec le Sud sous le principe «une nation et un Etat avec deux systèmes». «Il faut prendre acte de la réalité», est-il expliqué: la réunification est devenue impossible. Corollaire de cette décision, l’«ennemi principal» de la Corée du Nord n’est plus les Etats-Unis mais la Corée du Sud. Cette dernière est décrite comme «une malformation hémiplégique et un Etat colonial subordonné, dont la politique est complètement déréglée, et la société entière entachée par la culture yankee».
Troisième rupture, la plus significative: Pyongyang ne s’affiche plus comme un Etat autarcique ne comptant que sur ses propres forces au nom de la doctrine du «juche» mais veut développer «les relations avec les pays anti-impérialistes qui s’opposent à la stratégie d’hégémonie des Etats-Unis et de l’Occident». En clair, Kim Jong-un s’inscrit dans le discours tenu par Xi et Poutine. Si l’on ne peut pas encore parler d’alliance formelle, la satellisation de la Corée du Nord semble en cours. La preuve par l’oeuf?
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