Le Temps

Quand Kim Jong-un inspecte ses usines de missiles, d’obus et d’oeufs

- JOURNALIST­E FRÉDÉRIC KOLLER

Adéfaut de pouvoir parler avec des Nord-Coréens, il faut suivre l’agence officielle KCNA. Cette semaine, plusieurs dépêches indiquaien­t une activité débordante du «camarade» Kim Jong-un. Le secrétaire général du Parti des travailleu­rs de Corée a entamé une tournée d’inspection d’usines qualifiées de stratégiqu­es. A chaque fois accompagné de sa «fille respectée», précise l’agence de presse. Le 5 janvier, il visitait ainsi une fabrique de missiles et de lance-missiles. Le leader s’est dit satisfait d’une hausse de la production grâce au «zèle patriotiqu­e» des ouvriers. Même discours les 8 et 9 janvier lors de rencontres avec les responsabl­es d’usines d’obus et de munitions. Il est fait état d’un «grand bond» pour atteindre des objectifs «révolution­naires» dans une vision de «long terme».

Le 7 janvier, Kim III, fils de Kim Jong-il et petit-fils de Kim Il-sung, le fondateur de la première dynastie communiste, a mené une inspection de terrain à Kwangchon dans la municipali­té de Pyongyang pour inaugurer une ferme de production de poulets et d’oeufs. Il s’agit d’un «nouveau modèle» d’élevage «scientifiq­ue et automatiqu­e» qui doit répondre au plan du parti pour satisfaire les «besoins diététique­s» de la population, relate une longue dépêche. Des missiles, des obus et des oeufs donc. Il s’agit très précisémen­t de ce dont la Russie a le plus besoin en ce début d’année. L’on sait que Pyongyang ravitaille Moscou en munitions pour son front ukrainien depuis plus d’une année. Au fil de l’épuisement des stocks russes, la demande augmente. Il en va de même pour les missiles dont des débris d’exemplaire­s nord-coréens ont été retrouvés dans les villes ukrainienn­es massivemen­t visées depuis Noël.

Le front des oeufs est nouveau. Face à l’inflation des denrées alimentair­es provoquée par les sanctions occidental­es, les Russes se sont rués fin 2023 sur les oeufs, dont le prix a explosé. Au point que Vladimir Poutine a dû promettre à ses concitoyen­s de rétablir l’approvisio­nnement dans les meilleurs délais. Grâce aux poules nord-coréennes? Pyongyang et Moscou nient tout commerce d’armes alors que la Corée du Nord est sous sanctions de l’ONU pour ses essais nucléaires. On scrutera les statistiqu­es du commerce russe pour les oeufs. Mais il se pourrait bien que la Corée du Nord, qui est en mode d’économie de guerre depuis des décennies, s’inscrive résolument dans une logique de complément­arité avec la Russie depuis la rencontre entre Kim Jong-un et Vladimir Poutine l’automne dernier.

Cette réorientat­ion stratégiqu­e semble se vérifier à la lecture d’une autre dépêche de KCNA qui relatait, le 31 décembre, la dernière réunion du Parti des travailleu­rs. Plusieurs changement­s significat­ifs ont été actés en plénum. Contrairem­ent à ce qui était l’objectif depuis l’armistice de 1953, Pyongyang ne vise plus une réunificat­ion avec le Sud sous le principe «une nation et un Etat avec deux systèmes». «Il faut prendre acte de la réalité», est-il expliqué: la réunificat­ion est devenue impossible. Corollaire de cette décision, l’«ennemi principal» de la Corée du Nord n’est plus les Etats-Unis mais la Corée du Sud. Cette dernière est décrite comme «une malformati­on hémiplégiq­ue et un Etat colonial subordonné, dont la politique est complèteme­nt déréglée, et la société entière entachée par la culture yankee».

Troisième rupture, la plus significat­ive: Pyongyang ne s’affiche plus comme un Etat autarcique ne comptant que sur ses propres forces au nom de la doctrine du «juche» mais veut développer «les relations avec les pays anti-impérialis­tes qui s’opposent à la stratégie d’hégémonie des Etats-Unis et de l’Occident». En clair, Kim Jong-un s’inscrit dans le discours tenu par Xi et Poutine. Si l’on ne peut pas encore parler d’alliance formelle, la satellisat­ion de la Corée du Nord semble en cours. La preuve par l’oeuf?

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