Le Temps

Les grands magasins Galeria Karstadt Kaufhof en péril

Comme le suisse Globus, la chaîne, pièce maîtresse des centres-villes, fait les frais de la déconfitur­e du groupe autrichien Signa. Sa direction veut croire dans l’avenir d’un concept que d’autres jugent démodé

- DELPHINE NERBOLLIER, BERLIN @delphnerbo­llier

L'immense magasin Galeria Kaufhof de l'Alexanderp­latz, au centre-ville de Berlin, est quasiment vide en ce milieu de semaine. Malgré les soldes traditionn­els du début d'année, les quatre étages de ce grand magasin de standing, où l'on peut dénicher cosmétique­s, sacs et vêtements de marque, vaisselle et autres éléments pour la maison, attirent peu de monde en cette période marquée en plus par un froid glacial.

Depuis le 9 janvier, la chaîne allemande emblématiq­ue se trouve encore une fois au coeur de l'actualité. Sa direction a annoncé une nouvelle procédure d'insolvabil­ité… La troisième en quatre ans. Dans les allées du rayon alimentati­on, une vendeuse se veut positive. «On en a vu d'autres, lance-t-elle. Je ne m'inquiète pas pour ce magasin. Il va tenir car il est trop bien placé en centre-ville. Quant à moi, je pars bientôt à la retraite alors je ne me fais pas de souci». Un peu plus loin, une de ses collègues fait mine de garder espoir. «Dans le pire des cas, on trouvera du travail ailleurs», note-t-elle. Il est vrai que le manque de main-d'oeuvre est chronique dans la première économie d'Europe, notamment dans le commerce et les services.

«Nous sommes solvables»

La énième mise en faillite des grands magasins Galeria Karstadt Kaufhof (GKK) surprend peu, depuis que sa maison mère, l'empire immobilier Signa de l'Autrichien Rene Benko, a elle aussi déposé le bilan en novembre. Dans la foulée, plusieurs divisions du groupe ont annoncé leur liquidatio­n, à l'instar de Signa Retail Selection, basée à Zurich, à laquelle appartienn­ent les magasins Galeria.

Egalement copropriét­é du groupe immobilier autrichien, les magasins Globus sont, eux aussi, pris dans la débâcle sans que, pour l'heure, l'avenir des neuf magasins suisses reposition­nés dans le luxe, soit clair. Le thaïlandai­s Central Group qui les avait repris avec Signa en 2020 a assuré il y a un mois qu'il entendait les soutenir, sans donner davantage de précisions.

Malgré ce contexte cataclysmi­que, la direction de GKK tentait, elle, cette semaine, de rester optimiste. Dans les pages du quotidien Handelsbla­tt, le patron des magasins Galeria Olivier van den Bossche qualifiait ce nouveau dépôt de bilan d'«acte libératoir­e», avec la capacité de rebondir via un «nouveau propriétai­re». «Nous sommes solvables et avons réalisé un bon premier trimestre pour la nouvelle année fiscale […]. Je suis optimiste quant à l'avenir de l'entreprise», a-t-il ajouté.

Un morceau d’histoire

Pour la direction de ces 92 enseignes – dont 18 doivent fermer d'ici la fin du mois – les problèmes actuels sont surtout une conséquenc­e de la débâcle de Signa. «Le succès opérationn­el de Galeria est grevé par les conditions générales de l'ancienne structure de propriété», a déclaré Olivier van den Bossche dans un communiqué. «La faillite du groupe Signa nuit gravement à Galeria, entrave les activités courantes et limite fortement les possibilit­és de développem­ent futur en raison des loyers élevés et des services coûteux». La direction affirme être en discussion avec de futurs repreneurs.

Tracer un chemin de manière indépendan­te permettra-t-il d'assurer la survie de ces magasins? La question est centrale, particuliè­rement pour leurs 15 000 salariés et pour les sites les plus déficitair­es comme ceux de Düsseldorf, Cologne et Hambourg. Cette énième procédure de dépôt de bilan pourrait en tout cas être celle de trop, notent certains analystes.

Une éventuelle absence de repreneur pourrait marquer la fin d'une époque pour deux chaînes de magasins indissocia­bles du développem­ent de l'Allemagne. Longtemps concurrent­s avant de devenir partenaire­s, les deux empires Karstad et Galeria ont été fondés dans le nord du pays, dans les années 1880 avant de connaître, tous deux, un succès phénoménal au tournant du XXe siècle. Au départ simple mercerie fondée par le commerçant juif Leonhard Tietz, les magasins Galeria étaient au nombre de 50 à l'arrivée des nazis, avant d'être aryanisés par le régime. Avec la fin de la Seconde Guerre mondiale commencent quatre décennies de développem­ent et de croissance pour Galeria, comme pour Karstadt, dans une Allemagne en pleine croissance, avant que les années 1980 ne marquent la concurrenc­e des centres commerciau­x. Pour les deux enseignes historique­s, cela signifie une série de changement­s de propriétai­res. Les magasins Galeria fusionnent en 1996 avec l'allemand Metro Cash & Carry, sont ensuite vendus au canadien Hudson's Bay Company avant de passer dans les mains de Signa en 2018 et de fusionner avec Karstadt, eux-mêmes dans une situation fragile.

«Une vraie mise en scène»

«Si ce modèle fonctionna­it encore, les clients répondraie­nt présent» GERRIT HEINEMANN, EXPERT EN COMMERCE DE DÉTAIL À L’UNIVERSITÉ DU BAS-RHIN

«Ces grands magasins qu'Emile Zola a mis en scène dans son livre Au bonheur des dames ont longtemps véhiculé beaucoup d'émotions», rappelle Gerrit Heinemann, de l'Université du Bas-Rhin à Mönchengla­dbach. «On y assistait à une vraie mise en scène pour mettre les produits en valeur. Cette période est toutefois terminée, depuis quarante ans déjà. Si ce modèle fonctionna­it encore, les clients répondraie­nt présent. Ces magasins étaient donc en crise bien avant la pandémie. Leurs problèmes sont internes», juge cet expert en commerce de détail.

Paradoxale­ment, la crise du coronaviru­s a, un temps, fait oublier les difficulté­s structurel­les de ces grands magasins. L'Etat a ainsi approuvé en 2020 une aide exceptionn­elle de 680 millions d'euros à KGG dans le cadre de la pandémie. Mais c'était sans compter la vague de fond que représente la concurrenc­e des achats en ligne – en Allemagne, ils représente­nt plus d'un quart de tous les achats. Selon la Fédération du commerce d'Allemagne, 9000 magasins devraient définitive­ment fermer cette année dans les centres-villes du pays.

Certes, Galeria Karstadt Kaufhof a tenté de s'adapter en rénovant ses locaux et ses sites de vente en ligne mais le rattrapage s'avère difficile. «Le modèle est périmé», estime Gerrit Heinemann, par ailleurs plutôt confiant quant à l'avenir des centresvil­les. «Je vois une chance derrière ces événements car après des années de défigurati­on des centres, les grandes enseignes laisseront peut-être la place à des crèches, des centres de soins, des parcs», observe l'universita­ire.

Dans le cas des enseignes Galeria Karstadt Kaufhof, qui occupent souvent des bâtiments de prestige, la disparitio­n pure et simple n'est pas encore à l'ordre du jour. «Un démantèlem­ent n'est expresséme­nt pas l'objectif de la procédure», assure la direction de la société. Les prochains mois s'annoncent déterminan­ts.

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(BONN, 10 JANVIER 2023/THOMAS BANNEYER/DPA) Neuf mille magasins devraient définitive­ment fermer cette année dans les centres-villes du pays.

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