Les requins, comme peau de chagrin
Une nouvelle étude révèle que la mortalité globale des squales a augmenté au cours de la dernière décennie. Les réglementations destinées à prévenir le prélèvement de leurs ailerons ont eu des effets pervers. Mais il y a aussi eu des progrès
On les imagine volontiers grands, blancs et dangereux. Les requins constituent en fait une vaste famille de près de 500 représentants aux comportements et aspects très variés – certains ne consomment que du plancton.
Ces poissons sont aussi particulièrement menacés. Environ un tiers des espèces de requins sont à risque d’extinction, ce qui en fait le deuxième groupe de vertébrés le plus menacé après les amphibiens, d’après Rima Jabado, de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
Au cours des deux dernières décennies, de nouvelles législations ont donc été introduites à travers le monde afin de les protéger. Nombre d’entre elles visaient à lutter contre le prélèvement de leurs ailerons à bord des bateaux de pêche, avant rejet en mer des individus mutilés. Une pratique dénommée «finning» en anglais, qui est surtout destinée à alimenter les marchés asiatiques, où ces ailerons sont consommés dans des soupes.
La pêche, toujours une menace substantielle
Las, ces mesures n’ont pas permis d’enrayer le déclin global des requins, déplorent les auteurs d’une étude parue dans Science le 11 janvier, qui montre que la mortalité de ces poissons a plutôt progressé, en dépit de quelques avancées. Ils appellent à entreprendre des actions supplémentaires afin de renforcer la protection de ces animaux.
Pour savoir si les captures de requins avaient diminué, les scientifiques se sont plongés dans la base de données de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) qui recense l’ensemble des prises des pêcheurs.
«Ces informations officielles sont lacunaires, une grande partie des prises de requins n’étant pas rapportées. Nous avons donc complété nos résultats par des entretiens avec des experts de terrain», explique Laurenne Schiller, chercheuse à l’Université Carleton, au Canada.
Résultat: les prises de requins, loin d’avoir diminué ces dernières années, auraient au contraire progressé, passant de 76 millions de requins tués en 2012 à environ 79 millions en 2019 – dont environ 25 millions appartenaient à des espèces menacées. «Nous ne nous attendions pas à de tels résultats, indique Boris Worm, de l’Université Dalhousie, au Canada. La pêche aux requins continue d’être une menace substantielle pour ces poissons.»
«Cette étude constitue un état de l’art de la mortalité des requins. Elle est informative mais aussi alarmante, puisqu’elle montre que leur surexploitation continue», déplore Philippe Cury, océanographe à l’Institut français de recherche pour le développement (IRD), qui n’a pas participé à l’étude.
Au-delà des ailerons, de nouveaux débouchés
Les auteurs signalent tout de même quelques avancées. Historiquement, les requins étaient surtout capturés en haute mer comme «prises accessoires», par des engins de pêche destinés à attraper d’autres espèces de valeur, comme le thon.
«Certaines espèces faisant l’objet d’un classement par la CITES [ou Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction, ndlr], comme le requin-marteau, sont aujourd’hui plus souvent épargnées dans ce type de pêche, par crainte d’un dégât d’image», relève Laurenne Schiller.
Les mesures «anti-finning» semblent avoir aussi – partiellement – porté leurs fruits: moins de requins sont mutilés mais ils ne retrouvent pas pour autant la mer… «Cette pratique est en diminution, ce qui est positif pour la lutte contre la souffrance animale. Mais nous n’observons pas pour autant une baisse de la mortalité des requins. De nouveaux débouchés ont été trouvés pour valoriser le reste de leur carcasse», raconte Boris Worm.
La pêche au requin semble par ailleurs s’être intensifiée le long des côtes, et cibler aujourd’hui une plus grande variété d’espèces que par le passé. Devant ces évolutions préoccupantes, les chercheurs appellent à adopter de nouvelles mesures, notamment afin de réduire les prises accidentelles. «Certaines techniques de pêche, par exemple l’usage de filets maillants [des sortes de murs de filets suspendus dans l’eau, ndlr], devraient être évitées, affirme Grantly Galland, spécialiste de la pêche au Pew Charitable Trust. Mais dans de nombreux cas, les gestionnaires de pêcheries préfèrent interdire le finning, plutôt que changer de pratiques. Ils ne souhaitent pas que l’objectif de protéger les requins réduise leur opportunité de pêcher les espèces cibles.»
Pour Philippe Cury, il faudrait tout bonnement interdire la pêche aux requins, «mais aussi créer de nouvelles aires marines protégées, et les gérer correctement, en particulier dans les zones qui jouent un rôle important pour leur reproduction.»
Laurenne Schiller insiste quant à elle sur l’importance de sensibiliser la population, y compris en Amérique du Nord et en Europe. Des enquêtes d’ONG ont en effet révélé que de la viande de requin était aussi commercialisée sur ces marchés, par exemple dans les fish & chips au Royaume-Uni, ou dans les cantines scolaires en France. Les poissons désignés sous le terme de «saumonette», par exemple, sont en fait différentes espèces de requins.
«Il est toujours bon de se renseigner sur l’origine des produits de la mer que l’on mange», souligne la chercheuse. Qui conseille aussi de privilégier les marques de cosmétiques ayant renoncé au squalène, un ingrédient issu de la pêche au requin.
■
«Il faut créer de nouvelles aires marines protégées, et les gérer correctement»
PHILIPPE CURY, OCÉANOGRAPHE À L’INSTITUT FRANÇAIS DE RECHERCHE POUR LE DÉVELOPPEMENT