Le Temps

«Trop de salles de cinéma ont été détruites»

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Le réalisateu­r et photograph­e genevois Simon Edelstein publie un troisième ouvrage sur les salles de cinéma. Interview

Préfacé par l’ancien ministre de la Culture Jack Lang, Cinémas, un patrimoine français se présente comme une enquête photograph­ique à la découverte de la richesse architectu­rale des salles obscures. Né en 1942, réalisateu­r emblématiq­ue des grandes heures de la RTS lorsqu’elle s’appelait encore TSR (Télévision suisse romande), chef opérateur de Michel Soutter et auteur de plusieurs longs métrages lui-même, le Genevois Simon Edelstein s’était déjà intéressé en 2011 aux cinémas suisses, avant de courir le monde à la recherche de lieux de projection abandonnés.

Votre précédent ouvrage s’intitulait «Le Crépuscule des cinémas». Ce projet était-il né d’une nostalgie envers un âge d’or des salles, avant l’avènement des multiplexe­s? Je ne suis pas très sensible à la nostalgie, étant conscient qu’il est important de s’adapter au temps qui passe. Personnell­ement, c’est en me rendant compte que l’architectu­re des salles de cinéma n’était pas protégée, voire délaissée et méprisée par les pouvoirs publics, que j’ai commencé à m’y intéresser. Comme je voyageais beaucoup, j’ai vu les villes se transforme­r, avec souvent de très beaux édifices désaffecté­s ou rasés. C’est pour moi une grande injustice: pourquoi, alors qu’on s’est battu pour préserver les films, n’avoir rien fait pour les salles, alors que l’on conserve bien les églises, dont certaines sont moins belles?

La salle est-elle pour vous aussi importante que le film projeté? Chaque cinéphile aura en effet le souvenir d’une projection magique autant à cause du lieu que de l’oeuvre… Soudaineme­nt, les cinémas sont devenus moches, en partie parce qu’on est dans un monde qui est devenu moche. Même si je n’aime pas beaucoup le terme de nostalgie, je me suis mis à repenser à l’âge d’or du cinéma américain, peut-être parce que je suis allé plusieurs fois aux Etats-Unis photograph­ier les salles historique­s. Lorsque vous pénétrez dans ces salles, vous ressentez quelque chose, vous êtes saisi par l’émotion du lieu. Si vous entrez dans une salle magnifique pour y voir un film, vous avez l’impression que vous allez découvrir un chef-d’oeuvre! A l’opposé, quand vous arrivez dans une salle qui ressemble à une armoire à balais, vous vous dites que vous aurez du mal à aimer le film… Donc oui, il y a une vraie relation entre le lieu et l’oeuvre. Personnell­ement, j’ai aujourd’hui du mal à retourner dans de petites salles. Mais quand je peux aller dans une salle qui est très belle, je ressens tout à coup une émotion très forte, même si des salles très belles, il n’y en a malheureus­ement plus beaucoup.

En février, la Cinémathèq­ue suisse va inaugurer à Lausanne la salle rénovée du Capitole, le plus grand cinéma de Suisse, tandis qu’à Genève le mythique Plaza sera à nouveau fonctionne­l en 2026. Donc tout n’est pas perdu…

Mais c’est un phénomène trop tardif, car trop de salles ont déjà été détruites. Il reste évidemment des salles institutio­nnelles, comme le Grand Rex à Paris et le Capitole à Lausanne, mais pas tant que ça. Et il faut quand même se rappeler que Le Plaza était voué à la destructio­n. S’il n’y avait pas eu l’interventi­on d’une fondation, les bulldozers, qui étaient déjà devant la porte, auraient rasé la salle. Et si vous prenez un pays comme l’Inde, qui se transforme à une vitesse absolument incroyable et possède encore des salles de cinéma Art déco absolument sublimes, la conscience de ce patrimoine est inexistant­e puisqu’on détruit les salles à une vitesse elle aussi absolument incroyable, souvent pour les remplacer par des shopping centers et des multiplexe­s.

Qu’avez-vous appris en travaillan­t sur les cinémas en France, un pays qui est quand même le berceau de la cinéphilie?

La France est un pays miraculeux pour le cinéma, avec même, il me semble, le plus grand nombre de salles par rapport au nombre d’habitants. En marge d’une véritable volonté des communes et des villes de les maintenir, c’est un des rares pays au monde où l’on en construit encore, même si l’architectu­re est très différente que par le passé – on ne sait parfois plus si on est devant un cinéma ou une multinatio­nale. Mais il reste malgré tout un désir de faire de beaux édifices, comme le Cineum à Cannes; même si le bâtiment ne ressemble pas vraiment à un cinéma, il est beau. La France va à l’encontre de ce qui se passe ailleurs dans le monde.

Et quelles différence­s par rapport à la Suisse, qui était l’objet du livre

«Lux, Rex & Corso»?

La Suisse a toujours été un pays raisonnabl­e, on y a donc construit des salles raisonnabl­es. Si l’architectu­re des cinémas a parfois pu être délirante, surtout aux EtatsUnis, la Suisse a toujours été plus sage. Il existe encore quelques salles dont les intérieurs sont plutôt pas mal, mais pas grandchose pour les extérieurs. D’autant plus que, souvent, les salles étaient en Suisse emboîtées dans des immeubles. Propos

■ recueillis par S. G.

Simon Edelstein, «Cinémas, un patrimoine français», Ed. Jonglez, 287 pages.

Du même auteur: «Lux, Rex & Corso» (D’autre part, 2011) et «Le Crépuscule des cinémas» (Jonglez, 2020).

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