Le Temps

Portrait craché

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Il y a des légendes qui ont la vie dure. Comme celles qui prétendent que les émotions fortes d’une future mère peuvent influer sur l’apparence de l’enfant qu’elle porte. «Sursauter à cause d’un chat et se cacher le visage avec les mains provoque un hémangiome au visage de ton enfant», lit-on encore ici ou là sur internet – fût-ce pour démontrer l’absurdité de ces propositio­ns. Le médecin Isaac Bellet les dénonçait déjà au XVIIIe siècle – on peut relire, pour s’en convaincre, ses Lettres sur le pouvoir de l’imaginatio­n des femmes enceintes. Où l’on combat le préjugé qui attribue à l’imaginatio­n des mères le pouvoir d’imprimer sur le corps des enfants renfermés dans leur sein la figure des objets qui les ont frappés.

Bref, ces histoires sont anciennes. On en trouve des exemples fameux dans le Des monstres et prodiges (première édition: 1573) d’Ambroise Paré. Au chapitre IX («Exemples des monstres qui se font par imaginatio­n»), le père de la médecine moderne rappelle le cas de cet enfant «ayant la face d’une grenouille», né en 1517 à Bois-le-Roi, au sud-est de Paris. Motif de la difformité? Sa future mère, à qui l’on avait conseillé de soigner une fièvre en serrant très fort une grenouille dans sa main, avait conservé le batracien sur elle au moment de batifoler avec monsieur. Coït coassant, conception corrompue, dira-t-on. On a évoqué jusqu’ici les effets indésirés de l’imaginatio­n (ou du surnaturel) sur la descendanc­e. Mais on peut aussi renverser l’idée, et poser l’hypothèse qu’un décorum choisi pour les étreintes parentales puisse former de magnifique­s enfants. Au IIe siècle ap. J.-C., Soranos d’Ephèse rappelait déjà l’anecdote de ce tyran de Chypre affligé d’un pied-bot, et qui «forçait sa femme à contempler, pendant les rapports, des statues admirables».

Cette thèse d’une influence de l’art sur le foetus a été évoquée l’été dernier par l’historien de l’art fribourgeo­is Jean-François Corpataux dans un très beau livre sorti chez Droz, à Genève: L’Image féconde. Art et dynastie à la Renaissanc­e.

Au fil d’une parfaite démonstrat­ion de gai savoir, Jean-François Corpataux nous fait découvrir la manière dont Federico II Gonzaga (1500-1540), premier duc de Mantoue, a soigneusem­ent décoré les murs de son palais (et particuliè­rement de sa chambre à coucher) en prévision de son mariage avec Marguerite de Montferrat. De nombreuses toiles de maîtres, dont surtout les Amori di Giove de Corrège, ont été commandées à haut prix par le futur père pour mettre en scène le meilleur «contexte procréateu­r» possible. Marguerite et Federico eurent sept enfants. Guglielmo, fils puîné de Federico et son successeur au duché, était bossu.

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