Adolescence orageuse
Le quatrième roman de Vincent Almendros continue, pour notre plaisir, de creuser les non-dits et de frôler la catastrophe
Le titre de ce quatrième roman, Sous la menace, pourrait résumer toute l’oeuvre de Vincent Almendros, expert pour distiller, l’air de rien, une suspicion, une angoisse impalpable et sourde dans ses textes, depuis Ma chère Lise (2011), puis avec les très réussis Un été (2015), ou Faire mouche (2018). L’écrivain excelle à faire surgir le doute, partant de mots apparemment banals, de formules anodines. Peu à peu, chaque phrase creuse et alimente un soupçon général: c’est tout le langage qui devient potentiellement le signe d’un secret caché et s’en trouve comme «réactivé», mis sous tension.
Anguille sous roche
Le lecteur est tendu, attentif au moindre détail. Il sait qu’il y a anguille sous roche. L’anodin captive, sous la plume d’Almendros. Soudain, même, et peut-être surtout, l’apparente quiétude. Après un exergue faussement calme de Zola, tirée de La Bête humaine, «Non, non, sois tranquille, rien ne te menace», nous voici prévenus: nous entrons dans un texte «risqué», en terrain miné.
«Avec l’arrivée de la puberté, j’étais en train de devenir un monstre», nous explique le narrateur de Sous la menace, Quentin, 14 ans. Ses camarades de classe se moquent de sa moustache naissante et de ses boutons. Il est question de le renvoyer du collège, à cause de son comportement. Qu’a-t-il fait? Sa mère se méfie de lui.
Avec sa mère, justement, et sa cousine Chloé, 11 ans, le jeune homme va rendre visite à ses grands-parents. C’est bientôt l’été, au bord d’une piscine. Mais des fourmis volantes s’abattent sur la table et ses convives; la tension monte, un orage s’annonce, l’air devient électrique… Le père? «Depuis l’accident, nous parlions de lui comme s’il s’était seulement absenté quelques heures et allait revenir pour le déjeuner, en s’excusant d’avoir traîné sur la route.» On apprend assez vite qu’il ne reviendra plus.
Charles, le perroquet
Le roman développe en parallèle une veine comique, burlesque, avec le grand-père farfelu et son vieux perroquet, Charles. «Tu parles, Charles», répète l’oiseau. Et puis «ténor», qu’il prononce de telle sorte que le narrateur entend «t’es mort». Quelques mots suffisent à l’écrivain pour croquer un personnage, l’incarner, le rendre vivant. Le dénouement sera orageux, mais pas autant qu’attendu, quitte à sembler manquer de force. Comme si l’auteur préférait nous surprendre, ne pas nous laisser avec d’horribles secrets de famille, mais avec une forme de rédemption. La douceur est peut-être plus osée, elle représente un pari plus intéressant, plus risqué, pour le romancier, dans un monde devenu aussi sombre.
■ Julien Burri