Une aventure rock’n’roll plus vraie que nature
Roman choral très original,
«Le Dernier Revival d’Opal & Nev» crée de toutes pièces un duo de la scène new-yorkaise des années 1970, héros de la lutte pour les droits civiques
Pour son premier roman, Dawnie Walton, Afro-Américaine originaire de Floride, a inventé de toutes pièces un duo de rock mythique, plus vrai que nature, Opal & Nev. Il a connu son heure de gloire éphémère dans les années 1970, pas tant pour sa qualité musicale que pour une photographie iconique prise lors d’un concert qui a dégénéré. Quarante ans après, en 2016, Sunny Shelton, première rédactrice en chef noire d’Aural, célèbre magazine musical du type Rolling Stone, tient un scoop: Neville Charles et Opal Jewel vont remonter ensemble sur scène pour une ultime tournée.
Comment le chanteur britannique blanc, en quête d’une carrière aux Etats-Unis, a-t-il rencontré à New York la chanteuse afro-américaine rebelle et excentrique? Comment ont-ils explosé la scène rock des seventies après des débuts misérables? Comment tout a basculé un soir d’été de 1970? Sunny Shelton mène l’enquête pour un numéro spécial de son magazine. Elle-même est la fille du batteur noir Jimmy Curtis qui jouait avec Opal & Nev et qui a été l’amant d’Opal Jewel alors que sa femme portait Sunny dans son ventre. Le projet journalistique est aussi une quête personnelle.
De l’anonymat à la célébrité
Sunny interroge tous les protagonistes de l’époque, à commencer par Opal Jewel, très expansive, et Neville Charles, plus secret, puis le directeur et la secrétaire de leur maison de disques, le producteur, le styliste haut en couleur d’Opal, les musiciens du groupe, des proches, des fans. Le roman est la retranscription de tous ces témoignages, vaste puzzle oral. Dawnie Walton y a glissé des coupures de journaux, des verbatims d’émissions de télévision ou de radio, des notes de la rédactrice en chef.
Entraîné dans une dynamique de points de vue, le lecteur découvre par mille et un détails qui étaient Neville et
Opal et ce qu’ils sont devenus. La documentation la plus passionnante est le point de bascule qui propulse le duo de l’anonymat à la célébrité, ce fameux soir d’été 1970 lors d’un concert promotionnel avec tous les groupes du label d’Opal & Nev, Rivington Records.
Le duo est alors méconnu, incapable de percer, éclipsé par un groupe rock rival, tendance «blancs suprémacistes», qui a fait venir plusieurs fans racistes. Son leader débarque avec un drapeau confédéré. Opal arrive à le voler en coulisses et à le cacher sous sa robe. Elle le piétine ensuite sur scène. C’est l’émeute dans le public et, dans la confusion, le batteur Jimmy Curtis est tabassé à mort. Une photographe a pris un cliché qui fera date, finaliste du Prix Pulitzer: Opal chevauchant son partenaire Nev en plein chaos, dans une posture de protestation triomphante. Sunny Shelton finira par découvrir la vérité sur la mort de son père.
«Déesse guerrière afro-punk»
Le lecteur est aussi plongé dans l’histoire du rock avec de multiples références à des groupes qui ont réellement existé, sur fond de mouvement de lutte pour les droits civiques. Autour de la flamboyante «déesse guerrière afropunk» Opal, «championne des gens marginalisés, maltraités, discriminés», l’écrivaine, qui est aussi journaliste spécialisée dans la culture pop, relie le passé au présent pour appréhender plusieurs thèmes: racisme, féminisme, sexisme, appropriation culturelle, identité et genre. Roman choral très original, Le Dernier Revival d’Opal & Nev
fait autant résonner musique que politique, à travers une expérience immersive et polyphonique des plus funky.
■ Jean-François Schwab