Le Temps

Israël contre-attaque à La Haye

Au deuxième jour des auditions à la Cour internatio­nale de justice, les juristes israéliens se défendent de toute violation délibérée du droit lors de l’assaut contre Gaza

- LUIS LEMA @luislema

Un génocide à Gaza? Les 15 juges de la Cour internatio­nale de justice (CIJ), la plus haute instance judiciaire de l’ONU, ont terminé hier les premières auditions destinées à trancher la question. Après l’Afrique du Sud, qui a porté l’affaire devant la Cour à La Haye, c’était au tour de l’Etat d’Israël de répondre aux accusation­s. Ses juristes l’ont fait en forme de contre-attaque: ils ont accusé l’Afrique du Sud de présenter une vision «profondéme­nt déformée» de la réalité. Une vision, en sontils venus à dire, «à peine distincte» de celle du Hamas, qui consistera­it à priver Israël de son droit à se défendre, voire de son droit d’exister.

Les grandes lignes de la défense israélienn­e étaient conformes aux prévisions. Si des actes génocidair­es ont été commis, c’est bien contre Israël, a répété à plusieurs reprises l’équipe de juristes, en évoquant longuement l’attaque commise par le Hamas le 7 octobre, ainsi que le sort des otages Israéliens retenus à Gaza, mais aussi la charte fondatrice du mouvement, ou encore des déclaratio­ns de certains de ses dirigeants.

Une seule cible: le Hamas

«Gaza est devenue la place forte la plus sophistiqu­ée dans l’histoire du terrorisme internatio­nal», selon le conseiller juridique des Affaires étrangères Tal Becker. A partir de ce constat, pratiqueme­nt toutes les accusation­s portées la veille par l’Afrique du Sud ont été reportées sur le Hamas, dont l’objectif serait de raser de la carte Israël et qui, pour cela, est totalement prêt «à sacrifier sa propre population».

Les bâtiments détruits dans la frange de terre peuplée de plus de 2 millions d’habitants (quelque 40% des édifices seraient endommagés ou rasés selon l’ONU)? «Le Hamas a piégé les bâtiments», expliquait Tal Becker. De même, quelque 2000 roquettes palestinie­nnes auraient manqué leur cible et se seraient abattues sur Gaza, expliquant en (grande) partie les dommages.

«Là où la défense israélienn­e a été le plus habile, c’est en apportant la promesse que l’Etat veillerait à respecter ses obligation­s internatio­nales» PAOLA GAETA, PROFESSEUR­E DE DROIT AU GRADUATE INSTITUTE À GENÈVE

Les écoles, les hôpitaux, les centres logistique­s et de distributi­on d’aide de l’ONU, les mosquées, les boulangeri­es? Autant de lieux auxquels se réfère, parmi d’autres, la requête accusatric­e de l’Afrique du Sud en prenant appui sur d’innombrabl­es témoignage­s de Palestinie­ns et de responsabl­es occidentau­x. Autant de lieux, rétorque Israël, où l’Etat hébreu a pris pour cible, en réalité, les seuls combattant­s du Hamas qui s’en étaient emparés, se faisant à l’occasion passer pour des médecins.

Ce cadre posé, Israël a aussi contesté le nombre de victimes indiqué par l’Afrique du Sud (23 000 morts, 1000 supplément­aires entre-temps) en l’attribuant à de la propagande du Hamas. Israël n’a cependant pas fourni son propre bilan, pas plus qu’il n’a expliqué le fait que l’ONU considère ces chiffres comme crédibles, voire encore sous-estimés étant donné les corps qui se trouvent encore sous les décombres.

Dans leur défense, les juristes de l’Etat d’Israël devaient aussi aborder les déclaratio­ns de très nombreux hauts responsabl­es qui, du premier ministre Benyamin Netanyahou à des soldats, en passant par des ministres ou des chefs militaires, ont tenu des discours qui démontrera­ient une intention génocidair­e de leur part. Comparaiso­n des Palestinie­ns à des «animaux», volonté affichée d’affamer la population et de ne pas faire de distinctio­n entre le Hamas et les civils… Toutes ces déclaratio­ns sont à mettre sur le compte «d’excès rhétorique­s dus au traumatism­e» (du 7 octobre), maintienne­nt-ils, et ne correspond­ent nullement aux directives appliquées sur le terrain, dont les juristes ont brossé un tableau exemplaire, et pour tout dire, presque surréalist­e.

Curieuseme­nt, la principale «preuve» des juristes concernait une déclaratio­n, faite en anglais par Benyamin Netanyahou le 10 janvier, dans laquelle il semblait répondre mot pour mot aux accusation­s de l’Afrique du Sud. Israël n’a pas l’intention d’occuper Gaza ou de déplacer sa population, il combat le Hamas et non la population de Gaza, et il respecte le droit internatio­nal. Autant de «clarificat­ions», deux jours seulement avant les auditions devant la CIJ, qui contrasten­t avec la plupart des précédente­s. La tâche immédiate des juristes israéliens consistait cependant à éviter que la Cour puisse ordonner la suspension des combats à Gaza. Ce pouvoir (théorique) a déjà été exercé, notamment contre la Russie, sommée d’arrêter son agression contre l’Ukraine. Une telle mesure ne dit rien sur le fond de la question – sommes-nous ou non face à un génocide? – mais permet de «geler» la situation en cas de plausibili­té d’un tel crime. Poursuivan­t sur leur lancée, les juristes israéliens ont très vivement écarté cette perspectiv­e, qui viserait en réalité à «privilégie­r le Hamas», avec la complicité de l’Afrique du Sud, puisqu’elle priverait Israël du «droit à se défendre».

«Un système juridique robuste»

«Là où la défense israélienn­e a été le plus habile, c’est en apportant la promesse que l’Etat veillerait à respecter ses obligation­s internatio­nales et à punir ceux qui, en Israël, les violeraien­t individuel­lement, analyse Paola Gaeta, professeur­e de droit internatio­nal au Graduate Institute à Genève. En s’engageant ainsi, il espère couper l’herbe sous les pieds des juges, qui pourraient se satisfaire de cette promesse.»

Recourir au crime de génocide, «le crime des crimes» comme on le qualifie parfois? «Israël dispose d’un système juridique robuste», ont répété à l’unisson les Israéliens, qui permet de punir toute violation du droit humanitair­e. Israël ne reconnaît cependant pas l’applicatio­n de la 4e Convention de Genève dans les territoire­s qu’il occupe, interdit l’entrée à tout enquêteur de l’ONU et pratiqueme­nt aucune enquête interne n’a sanctionné jusqu’ici un soldat (ou un colon israélien en Cisjordani­e). Autant de faits sur lesquels les juristes sont passés comme chats sur braise.

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