Israël contre-attaque à La Haye
Au deuxième jour des auditions à la Cour internationale de justice, les juristes israéliens se défendent de toute violation délibérée du droit lors de l’assaut contre Gaza
Un génocide à Gaza? Les 15 juges de la Cour internationale de justice (CIJ), la plus haute instance judiciaire de l’ONU, ont terminé hier les premières auditions destinées à trancher la question. Après l’Afrique du Sud, qui a porté l’affaire devant la Cour à La Haye, c’était au tour de l’Etat d’Israël de répondre aux accusations. Ses juristes l’ont fait en forme de contre-attaque: ils ont accusé l’Afrique du Sud de présenter une vision «profondément déformée» de la réalité. Une vision, en sontils venus à dire, «à peine distincte» de celle du Hamas, qui consisterait à priver Israël de son droit à se défendre, voire de son droit d’exister.
Les grandes lignes de la défense israélienne étaient conformes aux prévisions. Si des actes génocidaires ont été commis, c’est bien contre Israël, a répété à plusieurs reprises l’équipe de juristes, en évoquant longuement l’attaque commise par le Hamas le 7 octobre, ainsi que le sort des otages Israéliens retenus à Gaza, mais aussi la charte fondatrice du mouvement, ou encore des déclarations de certains de ses dirigeants.
Une seule cible: le Hamas
«Gaza est devenue la place forte la plus sophistiquée dans l’histoire du terrorisme international», selon le conseiller juridique des Affaires étrangères Tal Becker. A partir de ce constat, pratiquement toutes les accusations portées la veille par l’Afrique du Sud ont été reportées sur le Hamas, dont l’objectif serait de raser de la carte Israël et qui, pour cela, est totalement prêt «à sacrifier sa propre population».
Les bâtiments détruits dans la frange de terre peuplée de plus de 2 millions d’habitants (quelque 40% des édifices seraient endommagés ou rasés selon l’ONU)? «Le Hamas a piégé les bâtiments», expliquait Tal Becker. De même, quelque 2000 roquettes palestiniennes auraient manqué leur cible et se seraient abattues sur Gaza, expliquant en (grande) partie les dommages.
«Là où la défense israélienne a été le plus habile, c’est en apportant la promesse que l’Etat veillerait à respecter ses obligations internationales» PAOLA GAETA, PROFESSEURE DE DROIT AU GRADUATE INSTITUTE À GENÈVE
Les écoles, les hôpitaux, les centres logistiques et de distribution d’aide de l’ONU, les mosquées, les boulangeries? Autant de lieux auxquels se réfère, parmi d’autres, la requête accusatrice de l’Afrique du Sud en prenant appui sur d’innombrables témoignages de Palestiniens et de responsables occidentaux. Autant de lieux, rétorque Israël, où l’Etat hébreu a pris pour cible, en réalité, les seuls combattants du Hamas qui s’en étaient emparés, se faisant à l’occasion passer pour des médecins.
Ce cadre posé, Israël a aussi contesté le nombre de victimes indiqué par l’Afrique du Sud (23 000 morts, 1000 supplémentaires entre-temps) en l’attribuant à de la propagande du Hamas. Israël n’a cependant pas fourni son propre bilan, pas plus qu’il n’a expliqué le fait que l’ONU considère ces chiffres comme crédibles, voire encore sous-estimés étant donné les corps qui se trouvent encore sous les décombres.
Dans leur défense, les juristes de l’Etat d’Israël devaient aussi aborder les déclarations de très nombreux hauts responsables qui, du premier ministre Benyamin Netanyahou à des soldats, en passant par des ministres ou des chefs militaires, ont tenu des discours qui démontreraient une intention génocidaire de leur part. Comparaison des Palestiniens à des «animaux», volonté affichée d’affamer la population et de ne pas faire de distinction entre le Hamas et les civils… Toutes ces déclarations sont à mettre sur le compte «d’excès rhétoriques dus au traumatisme» (du 7 octobre), maintiennent-ils, et ne correspondent nullement aux directives appliquées sur le terrain, dont les juristes ont brossé un tableau exemplaire, et pour tout dire, presque surréaliste.
Curieusement, la principale «preuve» des juristes concernait une déclaration, faite en anglais par Benyamin Netanyahou le 10 janvier, dans laquelle il semblait répondre mot pour mot aux accusations de l’Afrique du Sud. Israël n’a pas l’intention d’occuper Gaza ou de déplacer sa population, il combat le Hamas et non la population de Gaza, et il respecte le droit international. Autant de «clarifications», deux jours seulement avant les auditions devant la CIJ, qui contrastent avec la plupart des précédentes. La tâche immédiate des juristes israéliens consistait cependant à éviter que la Cour puisse ordonner la suspension des combats à Gaza. Ce pouvoir (théorique) a déjà été exercé, notamment contre la Russie, sommée d’arrêter son agression contre l’Ukraine. Une telle mesure ne dit rien sur le fond de la question – sommes-nous ou non face à un génocide? – mais permet de «geler» la situation en cas de plausibilité d’un tel crime. Poursuivant sur leur lancée, les juristes israéliens ont très vivement écarté cette perspective, qui viserait en réalité à «privilégier le Hamas», avec la complicité de l’Afrique du Sud, puisqu’elle priverait Israël du «droit à se défendre».
«Un système juridique robuste»
«Là où la défense israélienne a été le plus habile, c’est en apportant la promesse que l’Etat veillerait à respecter ses obligations internationales et à punir ceux qui, en Israël, les violeraient individuellement, analyse Paola Gaeta, professeure de droit international au Graduate Institute à Genève. En s’engageant ainsi, il espère couper l’herbe sous les pieds des juges, qui pourraient se satisfaire de cette promesse.»
Recourir au crime de génocide, «le crime des crimes» comme on le qualifie parfois? «Israël dispose d’un système juridique robuste», ont répété à l’unisson les Israéliens, qui permet de punir toute violation du droit humanitaire. Israël ne reconnaît cependant pas l’application de la 4e Convention de Genève dans les territoires qu’il occupe, interdit l’entrée à tout enquêteur de l’ONU et pratiquement aucune enquête interne n’a sanctionné jusqu’ici un soldat (ou un colon israélien en Cisjordanie). Autant de faits sur lesquels les juristes sont passés comme chats sur braise.
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