Le Temps

Malgré sa victoire à Taïwan, «ce sera moins facile pour le nouveau président»

- PROPOS RECUEILLIS PAR CATHERINE FRAMMERY X @cframmery

«La grosse inconnue sera, à la fin de l’année, l’élection américaine. Si Trump est élu, va-t-il changer de politique chinoise?»

Pour le sinologue JeanPierre Cabestan, le nouveau président Lai Ching-te va rester une bête noire pour Pékin tout en affrontant une situation politique intérieure plus complexe, sans majorité au parlement. La Chine déplorait hier la réaction américaine, qui a félicité le vainqueur du scrutin. Une délégation informelle envoyée par les Etats-Unis était attendue hier à Taipei

Universita­ire, spécialist­e de la Chine, à laquelle il a consacré plusieurs ouvrages, Jean-Pierre Cabestan est chercheur au Asia Centre de Paris, un centre de réflexion. Son dernier livre, «Demain la Chine: guerre ou paix?», est paru chez Gallimard en 2021.

Pékin a répété plusieurs fois son hostilité au candidat du DPP (le Parti démocrate progressis­te), Lai Ching-te, évoquant un «grave danger»; il y a aussi eu ces avions, ces ballons qui ont fait monter la pression ces derniers jours. Mais le DPP conserve finalement le pouvoir. Maintenant qu’il a gagné, à quelle réaction peut-on s’attendre? Ce qu’on oublie, c’est qu’il y a un long moment de transition: Tsai Ing-wen, la présidente sortante reste en fonction jusqu’au 19 mai. Dans l’immédiat, les Chinois vont donc observer ce qui va se passer, ce que va faire Lai Ching-te. Son premier discours, le discours inaugural du 20 mai 2024, sera important pour fixer la politique continenta­le qu’il va adopter. Je pense qu’elle sera à peu près identique à celle de Tsai Ing-wen. Il reste qu’évidemment, les Chinois ne sont pas contents de ce résultat et qu’ils vont probableme­nt essayer d’accroître la pression. Mais la Chine est quand même très préoccupée par ses problèmes internes, avec l’économie qui ralentit. Elle ne veut pas non plus trop déstabilis­er sa relation avec les Etats-Unis.

La rivalité entre Pékin et Washington reste la garantie de sécurité pour les Taïwanais… Depuis le sommet de San Francisco, le 15 novembre, Washington et Pékin essaient de maintenir une sorte de stabilité. Sans aller jusqu’à parler de détente, il y a un statu quo. Les Américains sont les garants de ce statu quo en cours, ils ne vont pas laisser les Taïwanais déclarer l’indépendan­ce. Ce n’est même pas une option pour Taïwan. La seule option, c’est le statu quo et le renforceme­nt de leur sécurité pour qu’ils aient une défense plus crédible par rapport à la Chine, moins asymétriqu­e. Il faut une forme de dissuasion convention­nelle plus forte et plus robuste. C’est pour cette raison que les Américains sont sur le dos des Taïwanais, pour qu’ils soient plus sérieux à propos de leur sécurité, de leur défense, qu’ils ne comptent pas trop uniquement sur les Américains en cas de problème.

Lai Ching-te est élu président mais le DPP n’a pas la majorité absolue au parlement… Le Kuomintang non plus. On est face à un parlement divisé et il se peut que le troisième parti en lice, le Parti populaire taïwanais, avec ses 24%, puisse jouer le rôle d’arbitre entre les deux camps. Comme il est plus proche du DPP que du Kuomintang, cela peut favoriser le DPP, mais ça fera l’objet de négociatio­ns et de marchandag­es. On va entrer dans une période plus instable sur le plan intérieur, avec une guerre de tranchées entre les différents camps au parlement et un parlement plus récalcitra­nt à voter des projets de loi soumis par le gouverneme­nt de la présidence. Ce sera moins facile pour Lai Ching-te que pour Tsai Ing-wen. Cela pourrait préparer une alternance dans quatre ans s’il ne satisfait pas les électeurs. Les jeunes ont plutôt voté pour Ko Wen-je, du Parti populaire, mais ils ne sont pas assez nombreux pour que cela change les équilibres; le vieillisse­ment de la population a favorisé le DPP et le Kuomintang.

Et maintenant? La grosse inconnue sera évidemment, à la fin de l’année, l’élection américaine. Si Trump est élu, va-t-il changer de politique chinoise? Il y a un tel consensus pro-Taïwan et anti-Chine aux Etats-Unis – au Congrès, au Pentagone et ailleurs – que ça me paraît peu probable. Les Américains ne sont pas prêts. Il peut y avoir des petites inflexions à la politique pour essayer de rassurer les Chinois, notamment sur les perspectiv­es d’une unificatio­n à long terme, mais la politique américaine resterait très, très ambiguë à cet égard. Les Américains sont favorables à une résolution pacifique des différends entre Taipei et Pékin, mais à la condition évidemment que Taïwan l’accepte. Et comme les Taïwanais sont tous opposés à l’unificatio­n…

Hsiao Bi-khim, la vice-présidente de Lai Ching-te, est une personnali­té bien complément­aire. Elle est à moitié Américaine, même si elle a dû renoncer à sa nationalit­é, et elle a ses entrées à Washington où elle représenta­it Taïwan, et au gouverneme­nt de Joe Biden. Cela fait un facteur de stabilité de communicat­ion avec les Etats-Unis, ce qui est un plus pour l’équipe de Lai Ching-tei. Tous les deux sont sur la liste noire de la Chine.

Mais il faut bien que la Chine accepte que Taïwan n’appartienn­e pas au Parti communiste chinois.

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