Un enfant sur deux en Suisse a des racines à l’étranger
Alors que la natalité a atteint un plus bas historique en 2022, des chiffres de l’OFS analysés par la «SonntagsZeitung» montrent combien la population suisse se métamorphose
«Cinquante-huit pour cent des 0 à 6 ans et 56% des 7 à 15 ans vivent dans un ménage dont au moins un parent est né à l’étranger ou a une nationalité étrangère. Il y a à peine dix ans, ces chiffres étaient respectivement de 54% et 50%.» Tel est l’enseignement principal que met en lumière la SonntagsZeitung dans un article publié hier.
On le sait, les Suissesses ne font plus assez d’enfants (elles ont en moyenne 1,3 enfant par femme) pour assurer le financement des prestations sociales, et encore moins le renouvellement des générations (qui requiert au moins 2,1 enfants par femme). Le pays n’a enregistré que 82 000 naissances en 2022, selon l’OFS: une baisse historique de 8,5% par rapport à 2021. Sans migrants, la population diminuerait. Il faudra donc compter avec eux et leurs enfants. C’est ainsi que la SonntagsZeitung a travaillé avec l’OFS sur ces métamorphoses, grâce à des statistiques qui regroupent largement celles que Le Temps avait compulsées en juin 2023, dans son opération «La Suisse à 9 millions».
Convergence progressive
«Parmi les adultes, ceux issus de l’immigration sont encore minoritaires. Mais pas pour longtemps», explique le sociologue Ganga Jey Aratnam. «Dans la ville de Zurich, 70% des 15-60 ans ont déjà des racines à l’étranger», dit-il. La Suisse change. Il paraît important au sociologue de baliser ce nouveau paysage, de connaître les chiffres et les faits, sans tabou. Les risques et les chances doivent être expliqués (et on songe bien sûr à l’initiative de l’UDC «Pas de Suisse à 10 millions!», sur laquelle nous devrons voter).
Les chiffres décortiqués de la natalité montrent que les femmes migrantes vivant en Suisse donnent en moyenne naissance à 1,6 enfant, donc 0,3 de plus que les Suissesses. Si on ne prend en compte que les femmes qui ont des enfants, et non pas la totalité des femmes, la moyenne passe à 2 enfants par mère. Les Suissesses sont bien plus souvent sans enfant que les femmes arrivant de l’étranger, qui ont ou auront presque toutes un enfant. Autre chiffre remarquable: l’écart entre deux enfants est en moyenne de trois ans chez les Suissesses, et de six ans chez les mères venant de l’étranger.
Un regard sur plusieurs années montre que les migrantes adaptent aussi la taille de leur famille à leur nouveau pays. «Le taux de natalité des communautés étrangères converge progressivement vers la norme suisse à mesure que la présence de celles-ci en Suisse se prolonge», explique Diana Baumgarten, sociologue à l’Université de Bâle, avec des différences selon les communautés. Les femmes européennes en Suisse ont en moyenne 1,6 enfant, les femmes des pays africains 2,5, mais chez elles aussi la natalité baisse. Ainsi, les femmes originaires d’Erythrée avaient 3,5 enfants en 2012; le taux est passé à 2,8 dix ans plus tard.
«Une réduction des privilèges»
Si les taux de natalité baissent dans toutes les communautés, c’est que… ce n’est pas facile d’élever un enfant en Suisse. Alors qu’on dit souvent, notamment à droite, que les immigrés ont intérêt à avoir le plus d’enfants possible pour obtenir plus de prestations sociales, rappelle la SonntagsZeitung, selon le sociologue Ganga Jey Aratnam, c’est tout le contraire: «Les migrants comprennent très vite que plus d’enfants signifie moins de chances en Suisse, et moins d’argent dans leur portefeuille.»
Pour les femmes, avoir des enfants signifie de manière générale «une réduction des privilèges». Le discours public est trop focalisé sur les places en garderie, estime le chercheur, or ce n’est qu’une partie du problème. «Parce que les hommes ne se sont pas encore suffisamment émancipés. En moyenne, ils participent encore beaucoup moins aux tâches domestiques et familiales. Si on veut que les femmes aient plus d’enfants, voire qu’elles en aient tout court, c’est aux hommes de prendre leurs responsabilités», conclut Ganga Jey Aratnam.■