Berne et Pékin annoncent la relance de leur dialogue
Le premier ministre chinois Li Qiang a visité Berne hier avant d’arriver à Davos. Un déplacement qui marque un retour aux rendez-vous de haut niveau. Ignazio Cassis doit se rendre à Pékin le mois prochain
Berne, lundi matin, 9h30. A l’Helvetiaplatz, quelques Chinois se rassemblent avec des drapeaux chinois et suisses sous l’oeil de la police. Une banderole prête à être dépliée souhaite en mandarin «une chaleureuse bienvenue au premier ministre Li Qiang». Pourquoi sont-ils là? «On ne sait pas», répond l’un des étudiants mobilisés pour l’occasion. Consigne a visiblement été donnée de ne pas parler aux journalistes. Ces étudiants venus de toute la Suisse ainsi que d’autres résidents chinois convoqués par des associations se sont postés tout le long de la route qui menait à l’Hôtel Bellevue Palace, jouxtant le Palais fédéral sous haute sécurité.
Le premier ministre Li Qiang, accompagné du ministre du Commerce Wang Wentao, du gouverneur de la banque centrale Pan Gongsheng, du vice-ministre des Affaires étrangères Ma Zhaoxu ainsi que de l’ambassadeur Wang Shihting, en sont sortis peu après 10h sous les hourras d’une foule (chinoise) pour rejoindre la présidente Viola Amherd et le conseiller fédéral Guy Parmelin au domaine du Lohn, dans la banlieue bernoise. Dans son communiqué, le Conseil fédéral salue «la première rencontre de haut niveau depuis la pandémie». La dernière visite officielle d’un premier ministre chinois remontait à 2015.
Les deux parties ont convenu de relancer toute une série de dialogues restés en veilleuse, y compris dans la coopération au développement, la médiation et les droits de l’homme. Il en va de même pour l’économie et la mise à jour de l’accord de libre-échange qui a fêté son 10e anniversaire. Les deux pays ont signé une déclaration relative au développement de cet accord. Mais les négociations ne sont pas encore au programme. Dans un communiqué séparé, la veille, l’ambassade de Chine mettait en avant le «partenariat stratégique innovant» mis en place en 2016. Ignazio Cassis devrait se rendre le mois prochain à Pékin pour une visite de travail, la première pour un ministre suisse depuis quatre ans.
Ces dernières années, la relation bilatérale a souffert non seulement de l’isolement de la Chine, mais aussi de critiques de plus en plus récurrentes du parlement à l’égard des politiques chinoises. Signal d’une mauvaise humeur, Pékin annonçait en début d’année que les ressortissants de tous les pays voisins de la Suisse pouvaient désormais se rendre en Chine pour quinze jours sans visa. La Suisse, habituée à jouer les premiers de classe en Europe en matière de relations avec Pékin, semblait cette fois-ci mise de côté. Cette question a fait l’objet d’une discussion.
«J’espère que les représentants du Conseil fédéral auront été très clairs sur différents points: la question de Taïwan ne peut se régler que politiquement, et pas militairement, tandis que l’accord de libre-échange doit inclure un chapitre sur les droits humains et environnementaux, énumère le conseiller national écologiste Nicolas Walder (GE), membre de la Commission de politique extérieure. La Suisse doit aussi appeler à respecter les droits des Ouïgours, des Tibétains et des autres minorités ou opposants politiques.»
Accord de libre-échange
Son approche n’est pas partagée dans le camp bourgeois. Le libéral-radical Laurent Wehrli (VD) loue une visite qui «constitue un joli signe, qui montre que la Suisse compte encore dans le concert diplomatique mondial, contrairement à ce que certains affirment. Le premier ministre chinois ne vient pas qu’à Davos, au WEF, mais bien à Berne dans la capitale fédérale, et démontre ainsi sa volonté de rencontrer les conseillers fédéraux.»
Président de la Commission de politique extérieure, le conseiller national espère une mise à jour de l’accord de libre-échange. «Il y a certains éléments à améliorer dans l’application, comme les chicanes douanières chinoises envers certaines entreprises suisses. On peut espérer une nouvelle ronde de négociations en vue d’une conclusion vers l’horizon 2030, en essayant d’inclure des conditions sur la durabilité – ce que nous avons fait dans l’accord avec l’Indonésie, adopté par le peuple.» Laurent Wehrli privilégie la voie du compromis. «Préfère-t-on un accord peut-être imparfait à pas d’accord du tout? La seconde variante aurait des conséquences.»
Bonus pour manifester
La venue du premier ministre chinois est nettement plus appréciée par le parti souverainiste UDC que celle du président ukrainien Volodymyr Zelensky. «Il y a beaucoup de contacts à maintenir et à poursuivre avec la Chine: nos échanges commerciaux sont très importants, il s’agit d’un immense pays avec un immense potentiel», souligne Pierre-André Page (FR), de la Commission de politique extérieure. «Je déplore aussi les problèmes internes à la Chine en matière de droits de l’homme, et suis d’avis qu’ils doivent les régler. Mais ces points ont déjà été abordés par la Suisse. Il s’agit ici d’un accord économique. Nous ne pouvons pas nous couper de tous les pays de la planète et nous isoler.»
Aucune des deux parties n’a donné de conférence de presse. Dans la foule présente pour saluer Li Qiang à sa sortie d’hôtel, une étudiante de l’EPFL explique être une «volontaire», comme tous les autres manifestants. Elle est défrayée pour son déplacement par l’association chinoise des étudiants. «Il y a aussi un petit bonus», sourit-elle, sans préciser.
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La dernière visite officielle d’un premier ministre chinois remontait à 2015