Une recette simple, trop simple
L’AVS doit impérativement être assainie, cela ne fait aucun doute. Plus on attend, et plus l’assainissement sera coûteux et inéquitable sur le plan intergénérationnel. L’espérance de vie dans nos sociétés modernes augmente, et cela doit être pris en compte, notamment dans la fixation de l’âge de la retraite. Sur ces deux points, les motivations des auteurs de l’initiative sur les rentes, soumise au vote populaire le 3 mars, méritent pleinement d’être partagées. Hélas, la solution proposée par cette initiative est fondamentalement mal conçue. En fixant dans la Constitution fédérale un lien strict et contraignant entre estimation de l’espérance de vie et assainissement de l’AVS, l’initiative est même doublement mal conçue. D’une part, car l’âge de la retraite ne saurait être le seul moyen de stabiliser le financement de l’AVS. D’autre part, car l’âge de la retraite ne peut pas être fixé en ne tenant compte que de l’espérance de vie.
Selon l’initiative, la Constitution devrait disposer que «l’âge de la retraite est lié à l’espérance de vie moyenne». Ainsi, ni le Conseil fédéral ni même le parlement ne pourraient déroger à ce principe. Or cette approche contredit le choix fait par le peuple et les cantons le 25 septembre 2022 en acceptant la réforme AVS 21, entrée en vigueur le 1er janvier de cette année, laquelle fixe un âge de référence à 65 ans assorti d’une formule souple de départ à la retraite, jusqu’à 70 ans. Dans certaines professions, une retraite anticipée est justifiée et ne doit pas excessivement pénaliser l’assuré, tandis que, dans d’autres professions, l’assuré a toutes les raisons de vouloir poursuivre son activité encore plusieurs années, et mérite de bénéficier d’un certain avantage en retour au niveau de l’AVS. Le premier cas de figure concerne les travaux pénibles et souvent peu qualifiés, tandis que le second cas couvre, entre autres, des travailleurs hautement qualifiés qui, en ce moment, sont rares. C’est là qu’intervient un critère fondamental dans l’équation de l’AVS: le marché du travail.
Plus qu’une estimation de l’espérance de vie, la situation sur le marché ainsi que les considérations sociales et de pénibilité sont déterminantes pour fixer l’âge de la retraite. En cas de pénurie sur le marché, il y a lieu d’assouplir l’âge de retraite vers le haut. Si une période de sous-emploi structurel devait survenir, un âge trop élevé conduirait à un taux de chômage excessif, notamment pour les travailleurs âgés. Dans une économie libérale, une telle approche flexible avec un âge maximum et minimum dans une fourchette large est optimale, car elle permet de laisser jouer les forces du marché. L’initiative, en fixant un âge donné qui augmente automatiquement avec l’espérance de vie, ignore les réalités économiques et sociales, et contraint le législateur et les partenaires sociaux à les ignorer également. L’âge de la retraite ne saurait être réduit à une question technique d’espérance «moyenne» de vie.
Passons maintenant à la manière de garantir un équilibre financier du régime AVS. Là aussi, la question ne peut être réduite à une simple question d’estimation de la durée de vie. Preuve en est que le vote populaire du 25 septembre ne portait pas que sur AVS 21, mais aussi sur le financement de l’AVS par la TVA, les deux objets étant indissociables. Dans cet esprit de globalité, les travaux déjà bien engagés pour les prochaines étapes de stabilisation du système abordent plusieurs aspects. Fixer un paramètre de manière rigide ne fera que compliquer ces travaux ainsi que toute entreprise de réforme ultérieure, voire entraver une recherche d’équilibre. Déjà maintenant, sans avoir besoin d’une initiative populaire, le législateur est libre d’ajuster l’âge de la retraite à sa guise, et ne manquera pas de le faire s’il l’estime opportun politiquement et financièrement. Mais un tel ajustement se ferait dans une approche tenant compte de tous les objectifs à atteindre et de tous les autres moyens mis en oeuvre ou à disposition.
En conclusion, la politique de stabilisation du financement de l’AVS, déjà bien engagée, doit continuer de se faire dans le cadre d’une approche globale. En introduisant dans la Constitution une rigidité qui restera contraignante pour tout développement futur de notre système de prévoyance, l’initiative fait fausse route.
■