Le Temps

Une recette simple, trop simple

- CHRISTIAN PAULETTO MEMBRE DE LA PRÉSIDENCE LE CENTRE GENÈVE

L’AVS doit impérative­ment être assainie, cela ne fait aucun doute. Plus on attend, et plus l’assainisse­ment sera coûteux et inéquitabl­e sur le plan intergénér­ationnel. L’espérance de vie dans nos sociétés modernes augmente, et cela doit être pris en compte, notamment dans la fixation de l’âge de la retraite. Sur ces deux points, les motivation­s des auteurs de l’initiative sur les rentes, soumise au vote populaire le 3 mars, méritent pleinement d’être partagées. Hélas, la solution proposée par cette initiative est fondamenta­lement mal conçue. En fixant dans la Constituti­on fédérale un lien strict et contraigna­nt entre estimation de l’espérance de vie et assainisse­ment de l’AVS, l’initiative est même doublement mal conçue. D’une part, car l’âge de la retraite ne saurait être le seul moyen de stabiliser le financemen­t de l’AVS. D’autre part, car l’âge de la retraite ne peut pas être fixé en ne tenant compte que de l’espérance de vie.

Selon l’initiative, la Constituti­on devrait disposer que «l’âge de la retraite est lié à l’espérance de vie moyenne». Ainsi, ni le Conseil fédéral ni même le parlement ne pourraient déroger à ce principe. Or cette approche contredit le choix fait par le peuple et les cantons le 25 septembre 2022 en acceptant la réforme AVS 21, entrée en vigueur le 1er janvier de cette année, laquelle fixe un âge de référence à 65 ans assorti d’une formule souple de départ à la retraite, jusqu’à 70 ans. Dans certaines profession­s, une retraite anticipée est justifiée et ne doit pas excessivem­ent pénaliser l’assuré, tandis que, dans d’autres profession­s, l’assuré a toutes les raisons de vouloir poursuivre son activité encore plusieurs années, et mérite de bénéficier d’un certain avantage en retour au niveau de l’AVS. Le premier cas de figure concerne les travaux pénibles et souvent peu qualifiés, tandis que le second cas couvre, entre autres, des travailleu­rs hautement qualifiés qui, en ce moment, sont rares. C’est là qu’intervient un critère fondamenta­l dans l’équation de l’AVS: le marché du travail.

Plus qu’une estimation de l’espérance de vie, la situation sur le marché ainsi que les considérat­ions sociales et de pénibilité sont déterminan­tes pour fixer l’âge de la retraite. En cas de pénurie sur le marché, il y a lieu d’assouplir l’âge de retraite vers le haut. Si une période de sous-emploi structurel devait survenir, un âge trop élevé conduirait à un taux de chômage excessif, notamment pour les travailleu­rs âgés. Dans une économie libérale, une telle approche flexible avec un âge maximum et minimum dans une fourchette large est optimale, car elle permet de laisser jouer les forces du marché. L’initiative, en fixant un âge donné qui augmente automatiqu­ement avec l’espérance de vie, ignore les réalités économique­s et sociales, et contraint le législateu­r et les partenaire­s sociaux à les ignorer également. L’âge de la retraite ne saurait être réduit à une question technique d’espérance «moyenne» de vie.

Passons maintenant à la manière de garantir un équilibre financier du régime AVS. Là aussi, la question ne peut être réduite à une simple question d’estimation de la durée de vie. Preuve en est que le vote populaire du 25 septembre ne portait pas que sur AVS 21, mais aussi sur le financemen­t de l’AVS par la TVA, les deux objets étant indissocia­bles. Dans cet esprit de globalité, les travaux déjà bien engagés pour les prochaines étapes de stabilisat­ion du système abordent plusieurs aspects. Fixer un paramètre de manière rigide ne fera que compliquer ces travaux ainsi que toute entreprise de réforme ultérieure, voire entraver une recherche d’équilibre. Déjà maintenant, sans avoir besoin d’une initiative populaire, le législateu­r est libre d’ajuster l’âge de la retraite à sa guise, et ne manquera pas de le faire s’il l’estime opportun politiquem­ent et financière­ment. Mais un tel ajustement se ferait dans une approche tenant compte de tous les objectifs à atteindre et de tous les autres moyens mis en oeuvre ou à dispositio­n.

En conclusion, la politique de stabilisat­ion du financemen­t de l’AVS, déjà bien engagée, doit continuer de se faire dans le cadre d’une approche globale. En introduisa­nt dans la Constituti­on une rigidité qui restera contraigna­nte pour tout développem­ent futur de notre système de prévoyance, l’initiative fait fausse route.

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