«L’Allemagne est fortement refroidie alors que la Suisse a un petit rhume»
Selon un sondage publié hier par le Forum de Davos, la croissance mondiale pourrait fléchir en 2024. Pour l’économiste Jan-Egbert Sturm, il faut s’attendre à une «légère» amélioration en Suisse cette année
Les chefs économistes interrogés par le Forum économique mondial (WEF) ne sont guère enclins à l’optimisme. Selon un sondage publié hier, à la veille de la 54e réunion annuelle de l’organisation qui se déroule à Davos jusqu’à vendredi, près de 60% d’entre eux anticipent un recul en 2024. Les perspectives sont notamment moroses en Europe.
Quid de la Suisse? A la tête de l’institut de recherches conjoncturelles de l’EPFZ, le KOF, Jan-Egbert Sturm suit depuis des années l’humeur et la santé des entreprises suisses. Il ne s’était pas trompé lors de l’édition 2022 du WEF, lorsqu’il pensait que celles-ci nous surprendraient une fois de plus par leur capacité de résistance. Estimée à 0,7% pour 2023 (+2,6% en 2022), la croissance a ralenti, mais la récession a été évitée. Elle est attendue cette année à 1,7%. Pour Le Temps, il revient sur les ressorts du «miracle économique» helvétique.
«Le problème de la pénurie de maind’oeuvre va encore nous accompagner quelques années»
Comment expliquez-vous la résistance des entreprises suisses? La capacité de résistance des entreprises suisses n’a rien de nouveau. Celles-ci la manifestent depuis des décennies. Les PME savent qu’elles doivent composer avec une monnaie nationale forte et se réinventer en permanence, être flexibles et réactives.
Est-ce que cette configuration a justement forgé une capacité d’adaptation particulière en comparaison internationale? Oui et non. Pour les PME, c’est naturellement beaucoup plus confortable de se trouver dans un environnement stable et d’avoir une certaine visibilité. Mais ce n’est pas leur réalité depuis plusieurs décennies. Evidemment, cela peut être fatigant mais a en quelque sorte créé une sorte d’avantage comparatif. A titre personnel, je pense que cela a en effet plutôt renforcé la capacité de résistance de l’économie suisse. Tout le monde ne sera pas d’accord avec ça car il y a des entreprises qui souffrent et ne survivent pas à cette situation. Mais de nouvelles viennent et essaient de jouer un rôle dans l’économie mondiale.
En 2022, vous faisiez partie de ceux qui, à juste titre, pensaient que la Suisse éviterait la récession. Comment voyez-vous la conjoncture évoluer cette année? Nous allons probablement avoir une année faible. Avec une légère amélioration, mais vraiment légère. Notamment parce que la conjoncture n’est pas bonne en Europe. Les signaux en provenance d’Asie sont maintenant plus positifs et l’économie américaine résiste bien. Pour la Suisse, il est probable que l’évolution soit légèrement en dessous de la moyenne de ces dernières années.
Dans le passé, on disait: quand l’économie allemande a le rhume, la Suisse éternue. On constate tout de même que l’industrie est moins dépendante de ce pays qui, lui, vit une situation économique compliquée. A nouveau, oui et non. On voit tout de même un impact pour l’industrie suisse et les PME de ce secteur, qui souffrent. Mais on pourrait dire que le rapport s’est inversé. Aujourd’hui, c’est l’Allemagne qui est fortement refroidie et la Suisse qui a un petit rhume.
A quel point le franc fort pèse-t-il de nouveau sur cette industrie? Le problème se trouve encore sur la demande plutôt que sur la pression des prix. Il y a eu ces dernières années une forte inflation et le différentiel était positif pour la Suisse. Si on fait le correctif, le rapport reste défavorable pour les entreprises du pays, mais pas dans une proportion comparable aux crises de 2011 et 2015. En tout cas pour l’instant, car on ne sait pas comment la situation va évoluer.
L’IA pourrait-elle améliorer la productivité? Le potentiel est là. Mais il n’y a rien de très nouveau. L’arrivée des ordinateurs, par exemple, a suscité le même espoir. Mais cela prend beaucoup de temps pour se concrétiser et pas forcément de manière aussi forte qu’attendu. Je me souviens des attentes qu’il y a eu dans les années 1990 autour du boom de l’IT. Finalement, l’impact a été moins significatif qu’on ne le pensait.
Il est frappant de voir que lorsqu’on discute avec les entreprises, la pénurie de maind’oeuvre arrive souvent en tête des préoccupations malgré toutes les autres crises. Ce problème va encore nous accompagner durant quelques années. Ce qui est particulier, c’est que nous sommes dans une faible conjoncture et que le chômage reste bas. Les entreprises reflètent des difficultés à trouver les bonnes personnes. Il y a toute une génération qui part à la retraite et la relève ne suffit pas.
Cela va-t-il entraver la croissance économique du pays? Jusqu’à présent, nous avons eu un modèle en Suisse avec lequel nous avons complété les manques avec l’immigration, notamment dans les autres pays européens. Cela pose des questions politiques, mais d’un point de vue économique, cela a toujours été une solution efficace. Sans considération politique. Car la Suisse offrait des conditions attractives pour la plupart des personnes, avec bien sûr certains problèmes sociaux dans le pays.
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