L’Allemagne, seul pays du G7 en récession
Les crises géopolitiques et l’explosion des coûts de l’énergie placent l’économie et l’industrie du pays sous forte pression. Le secteur stratégique de la chimie est mis à rude épreuve
L’Allemagne s’y attendait. Elle est bel et bien en récession. D’après des chiffres rendus publics ce lundi, l’économie nationale s’est contractée de 0,3% l’an dernier, faisant de Berlin le seul pays du G7 à connaître une baisse de son PIB (produit intérieur brut). Nation exportatrice et industrielle, l’Allemagne peine à se remettre des tensions géopolitiques et de la crise énergétique qui, depuis la guerre en Ukraine, ont remis en cause son modèle économique.
Symbole de ces difficultés, la puissante industrie chimique est en plein doute. Troisième plus grand secteur industriel et exportateur du pays, elle a vu sa production chuter de 11% l’an dernier, hors produits pharmaceutiques. BASF, le numéro un mondial, n’a pas encore publié ses chiffres pour 2023 mais lui aussi prévoit une mauvaise année avec une baisse de sa production et de ses bénéfices. En cause, la faiblesse de la demande mondiale et l’explosion des coûts de l’énergie. L’arrêt pur et simple des approvisionnements en gaz et pétrole russes bon marché en 2022 a fait perdre à la chimie allemande l’un de ses principaux avantages concurrentiels.
«La demande mondiale va repartir, mais à quelle hauteur l’industrie allemande en profitera-t-elle?» MARKUS STEILEMANN, PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION DES INDUSTRIES CHIMIQUES
Restructuration
A Ludwigshafen, sur le plus grand site de production de BASF dans le monde, le défi que représente ce changement de paradigme est une réalité. Utilisé à la fois comme matière première et comme énergie, le gaz y est indispensable. La recherche de nouveaux fournisseurs a fait s’envoler de 2 milliards d’euros supplémentaires la facture énergétique de l’entreprise en Europe en 2022. En réaction, à Ludwigshafen, la direction a supprimé 2600 emplois et fermé l’une de ses deux usines allemandes d’ammoniac, un produit de base pour toute l’industrie européenne. La direction affirme que cette décision n’est «pas un transfert de la production à l’étranger» mais «une adaptation de la production sur le site de Ludwigshafen afin de rester compétitif».
Autre effet de cette crise énergétique, le processus de transformation écologique s’est accéléré. Le temps est compté. BASF vise la neutralité carbone pour 2050 et multiplie les projets, notamment à Ludwigshafen. Dans un bâtiment blanc flambant neuf est ainsi testé depuis quelques mois un tout nouveau système d’électrolyse de l’eau. Le but est de produire 8 millions de tonnes d’hydrogène décarboné dès 2025. Autre innovation: BASF teste un four de vapocraquage, reconnaissable à ses tuyaux jaunes, fonctionnant non pas au gaz mais à l’électricité. Cette usine de démonstration devrait produire chaque heure 4 tonnes de naphta, un dérivé du pétrole à la base de nombreux autres produits chimiques. «La transition énergétique est l’un des principaux défis de BASF. Nous testons et développons sur place à Ludwigshafen de nouvelles techniques», confirme un porte-parole du groupe.
Syndicats inquiets
De plus, la direction a annoncé sortir trois des activités phares (l’agriculture, les matériaux pour revêtements et ceux pour batteries électriques) de son fameux «système intégré», dont Ludwigshafen est le symbole. Connu sous le terme de «Verbund», il consiste en un circuit quasi fermé dans lequel déchets et sous-produits issus de la production sont réutilisés presque à l’infini, sous forme de matière première ou d’énergie. A Ludwigshafen, le coeur de ce système est constitué par deux immenses vapocraqueurs chargés de transformer le naphta en produits de base tels que l’éthylène et le propylène, eux-mêmes répartis dans les 200 installations du site grâce à un réseau de 2850 kilomètres de tuyaux aériens. Si la réforme annoncée en décembre vise à gagner en flexibilité, les syndicats redoutent la «fin d’un système à succès».
Entre faiblesses conjoncturelles et défis structurels, les problèmes rencontrés par BASF donnent donc des sueurs froides à un pays où la chimie est à la base d’une longue chaîne de valeur et alimente autant l’industrie automobile que celle des énergies renouvelables.
Nouvelle adaptation?
Chez BASF toutefois, on écarte les scénarios catastrophistes qui évoquent délocalisations et désindustrialisation rampante. «Nous sommes convaincus que toutes les mesures que nous prendrons renforceront la performance et la résistance du site de Ludwigshafen à long terme. Au cours de l’histoire de BASF, Ludwigshafen a toujours su s’adapter aux besoins du marché», assure un porte-parole.
Ces efforts iront-ils toutefois assez vite pour que BASF et la chimie allemande restent compétitifs, face à des pays aux coûts énergétiques plus faibles comme les Etats-Unis? La puissante fédération de la chimie (VCI) ne cache pas ses doutes. «La demande mondiale va repartir, mais à quelle hauteur l’industrie allemande en profitera-t-elle?», s’est demandé son patron Markus Steilemann, devant la presse en décembre.
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