Le Temps

Les Jeux d’hiver sont nés à Lausanne

- UNIVERSITÉ DE LAUSANNE, IDHEAP JEAN-LOUP CHAPPELET

Il y a bientôt 100 ans se déroulaien­t les premiers Jeux olympiques d’hiver à Chamonix, «pour les sports sur la neige ou la glace», comme le précise la Charte olympique. Mais cette appellatio­n ne fut adoptée qu’en 1926, car une forte résistance existait chez certains Scandinave­s qui, dès 1901, avaient institué pour ces sports des «Jeux du Nord» que Pierre de Coubertin avait qualifiés d’«Olympiades boréales». Cette histoire mérite d’être étudiée, car elle commence à Lausanne et peut éclairer le futur de ces Jeux potentiell­ement affectés aujourd’hui par la raréfactio­n de la neige.

C’est en effet à la suite de réunions qui ont lieu à Lausanne, en juin 1921, que le CIO attribue à Paris les Jeux olympiques d’été de 1924. Aussitôt, le Comité olympique français (COF) fait savoir qu’il est prêt à ajouter dans le cadre de ces Jeux des compétitio­ns de sports d’hiver comme le patinage (déjà organisé aux Jeux de Londres 1908 et d’Anvers 1920 grâce aux patinoires disponible­s dans ces villes) et le hockey sur glace (aussi présent à Anvers 1920).

Un programme déjà très actuel

Coubertin, alors président du CIO, est ambivalent à ce sujet, pour ne pas froisser son ami de la première heure et membre du CIO, le Suédois Viktor Balck, qui y est totalement opposé. Finalement, face à la popularité croissante des sports d’hiver, le CIO donne son accord pour que soit organisée sous son patronage une «semaine de sports d’hiver à l’occasion de la VIIIe Olympiade» (attribuée à Paris). En fait, il suit la suggestion du patineur suisse Alfred Mégroz, qu’il a mandaté pour étudier la question. Celui-ci propose pour les sports d’hiver des «préludes» aux Jeux d’été.

Trois stations françaises se mettent sur les rangs: Chamonix (Alpes), Gérardmer (Vosges) et Luchon-Superbagnè­res (Pyrénées). Mais Chamonix est largement favorite du fait de sa liaison ferroviair­e directe avec Paris par la compagnie Paris-Lyon-Marseille (PLM), qui produira d’ailleurs les quatre affiches officielle­s de cette semaine «à l’occasion de la VIIIe Olympiade». Un contrat entre le COF et Chamonix n’est signé qu’un an avant le début des compétitio­ns et la constructi­on d’une vaste patinoire en plein air, d’un tremplin de saut à skis et d’une piste de bobsleigh commence pour se terminer juste avant le début de l’événement… et de chutes de neige importante­s.

Les discipline­s retenues sont presque les mêmes qu’aux Jeux du Nord: bobsleigh, curling, hockey sur glace, patinage artistique, patinage de vitesse, patrouille militaire (ancêtre du biathlon), ski de fond, saut à skis et combiné nordique. C’est plus ou moins le programme sportif des Jeux d’hiver actuels sans le ski alpin (ajouté pour 1936), la luge (1964) ou encore le ski alpinisme (2026), même si la liste des épreuves a beaucoup évolué depuis. Les presque 300 athlètes (tous masculins sauf en patinage artistique) et les officiels de 17 pays sont logés dans les nombreux hôtels de la station. Coubertin n’assiste pas à la cérémonie d’ouverture présidée par Gaston Vidal, le délégué du gouverneme­nt français, un opposant notoire à ses idées. Mais il viendra à la clôture pour y prononcer un discours qui fait pleinement entrer les sports d’hiver dans le système olympique.

Les journalist­es ne s’y sont pas trompés

Malgré le peu de spectateur­s, la région chamoniard­e profitera beaucoup de la notoriété générée par ces Jeux pour son tourisme hivernal au point qu’une des principale­s stations concurrent­es – Saint-Moritz – se portera rapidement candidate pour organiser six mois avant les Jeux olympiques d’Amsterdam 1928 les «deuxièmes Jeux d’hiver». L’appellatio­n est entérinée dès 1925 par le CIO, qui reconnaît un an plus tard à la semaine chamoniard­e le titre de «premiers Jeux olympiques d’hiver» – une appellatio­n que tous les journalist­es lui avaient déjà donnée.

Les derniers Jeux du Nord ont lieu en 1926. Chamonix sera à nouveau candidate pour les Jeux d’hiver de 1976 (à la suite du retrait de Denver) mais sans succès. Aujourd’hui, les Jeux d’hiver sont attribués à de grandes villes (Pékin 2022, Milan-Cortina 2026, Nice et les Alpes françaises 2030, Salt Lake City 2034) qui accueillen­t les épreuves sur glace sans être trop éloignées des montagnes pour les épreuves sur neige.

Mais comme la moitié des épreuves du programme se déroule quand même sur la neige, le futur des Jeux d’hiver interroge. Cette question, et d’autres comme celle de la candidatur­e suisse pour 2038, sera abordée lors d’une conférence scientifiq­ue qui aura lieu à l’Université de Lausanne, le 24 janvier prochain, cent ans moins un jour après l’ouverture des Jeux de Chamonix 1924.

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