Jodie Foster, une énigme hollywoodienne
Dans la quatrième et très attendue saison de «True Detective» sortie hier, elle joue une enquêtrice dans la nuit polaire. A l’occasion de ce retour en pleine lumière, portrait d’une icône discrète aux soixante ans de carrière
Du sang dans la glace. Au nordest de l'Alaska, les employés d'une station de recherche disparaissent, une langue coupée déposée sur le sol comme unique indice. Bientôt, des corps sont retrouvés congelés dans la neige… Pour sonder le permafrost et les secrets de ce territoire plongé dans la nuit polaire, une enquêtrice au visage impassible, engoncé dans sa chapka. On la reconnaît pourtant du premier coup d'oeil: Jodie Foster.
Ce lundi soir, la RTS dévoile True Detective – Night Country, le quatrième volet très attendu d'une série qui a marqué les esprits. En 2014, l'histoire d'un serial killer sévissant dans les tréfonds de la Louisiane, avec Matthew McConaughey et Woody Harrelson en inspecteurs aussi hantés que leur bayou, mêlait considérations spirituelles et surnaturelles dans une atmosphère merveilleusement moite – de quoi faire de True Detective l'un des grands coups de la chaîne HBO. On n'en dira pas autant des saisons suivantes. Dix ans plus tard, True Detective retourne à ses racines pour faire frissonner à nouveau, au sens propre comme au figuré, avec son désert arctique et son duo d'actrices: la boxeuse Kali Reis et, dans sa première apparition télévisuelle depuis X-Files, Jodie Foster. Qui, comme True Detective, fait un come-back remarqué.
Parce que l'Américaine, 61 ans, a osé qualifier début janvier la Gen Z d'«agaçante, particulièrement au travail» dans les colonnes du Guardian – des propos au potentiel hautement irritant qui ont fait le tour du monde. Mais surtout suite à sa nomination aux derniers Golden Globes pour son rôle dans Nyad, film (disponible sur Netflix) retraçant l'exploit de l'athlète du même nom, la première à avoir rejoint à la nage et d'une seule traite Cuba à la Floride.
C'est vrai que cette dernière décennie, Jodie Foster a plutôt évolué en sous-marin, si ce n'est pour un rôle ou deux – dans The Mauritanian (2021) notamment, mémoires d'un détenu de Guantanamo qui lui valait déjà un Golden Globe. Mais aucun risque de se faire oublier pour autant. Car avec une cinquantaine de productions au compteur, de Taxi Driver au Silence des agneaux, de The Accused à Contact, le nom de Jodie Foster rime avec celui des plus grands films, des plus grands réalisateurs. Icône discrète plus que star, ses choix cinématographiques audacieux contrastant avec sa réserve, l'actrice a toujours refusé d'être réduite à un type, enfermée dans une case, à l'écran comme à la ville – elle qui a eu deux fils avec la productrice Cydney Bernard au début des années 2000. Un parcours hors norme qui voyait le Festival de Cannes lui décerner, en 2021, la Palme d'honneur. Retour non exhaustif sur la carrière d'une énigme.
Comme un thriller
Si on a comme l'impression d'avoir toujours connu Jodie Foster, c'est peut-être parce qu'elle a toujours été là, au coeur de l'industrie: avec ses trois frères et soeurs, elle grandit à Los Angeles, à un kilomètre d'Hollywood Boulevard – où sa mère lui interdit formellement de traînasser. Pourtant, c'est cette même mère divorcée qui pousse deux de ses enfants sous les projecteurs, en particulier sa cadette dont elle devient la première manager. Une carrière débutée au berceau, ou presque: Jodie Foster a trois ans et des petits cheveux blonds lorsqu'elle apparaît, en 1965, dans une publicité pour une marque de crème solaire. A l'origine, elle devait juste accompagner son frère au casting.
Dès lors, la lumière ne la lâche plus. Enchaînant les sitcoms, les westerns spaghettis comme les Disney, Jodie grandit face caméra. Et passe la vitesse supérieure en 1976 avec Taxi Driver de Scorsese, qui la choisit pour incarner Iris, une prostituée de 12 ans. Jodie Foster n'est pas plus vieille que son personnage, mais on trouve à cette préado une profondeur d'âme troublante. Et c'est là, en improvisant face à Robert De Niro, qu'elle goûte pour la première fois ce métier qu'elle n'a pas choisi.
Pour les enfants acteurs, on sait le sentier de la vie miné. Jodie Foster, «fille d'une mère célibataire qui subvenait aux besoins de toute la famille, n'avait pas le droit à l'erreur», comme elle se décrivait au New York Times en 2021, garde la tête sur les épaules et dans les livres. Après un passage dans un lycée français (elle le parle sans accent), elle suit des études de littérature à l'Université Yale. C'est à cette époque, en 1981, que l'actrice vit un épisode digne d'un thriller: un criminel du nom de John Hinckley Jr. tire sur le président Reagan (touché par une balle, il survivra), déclarant que son acte visait à impressionner Jodie Foster, qui l'obsède.
Ses rôles, elle les aime complexes, des femmes aux ressources et au courage remarquables. Dans The Accused (1981), elle joue une serveuse violée par trois hommes dans un bar qui finira par les dénoncer au tribunal. Dans Le Silence des agneaux (1991), jeune agente du FBI faisant face à un serial killer et au sexisme du milieu policier – ces deux films lui vaudront des Oscars. Dans Panic Room (2002), une mère célibataire protégeant sa fille de violents cambrioleurs.
S’isoler pour survivre
En coulisses aussi, cette silhouette menue fait preuve d'une détermination féroce. Lorsqu'elle convainc le réalisateur de Flight Plan (2005) de lui donner le rôle principal, pensé pour un homme, ou l'équipe du film Le Petit Homme (1991) de la laisser jouer et réaliser. Jodie Foster n'a pas 30 ans lorsqu'elle empoigne la caméra et elle ne la lâchera plus – on lui doit même des épisodes de Orange is the New Black, House of Cards comme de Black Mirror.
Celle qui se décrit comme une introvertie, pragmatique et solitaire, fuira toute sa vie les sirènes de la célébrité, cherchant l'authenticité derrière les paillettes tandis que les médias ne voudront qu'une chose: que Jodie Foster, longtemps l'une des rares lesbiennes visibles d'Hollywood, s'ouvre sur son homosexualité. «J'ai dû protéger ma propre psyché du public. Trouver le moyen de creuser autour de moi une tranchée pour espérer m'en sortir indemne. Ce qui signifiait par moments m'isoler davantage», glissait-elle récemment à CBS News.
La solitude, elle en parle aujourd'hui volontiers, en particulier celle qui accompagne les femmes de 50 ans et plus dans une industrie qui ne sait pas toujours quoi faire d'elles. Une décennie d'introspection pour Jodie Foster qui dit en sortir détendue, apaisée. Capable de sélectionner ses projets avec parcimonie, enquêtrice polaire ou coach en maillot, et d'accepter un Golden Globe en pyjama Prada depuis son canapé. «Plus heureuse que jamais» surtout de passer la main, de soutenir la relève – Gen Z incluse – dans une industrie qui l'a façonnée et qu'elle façonne à son tour.
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«J’ai dû protéger ma propre psyché du public» JODIE FOSTER