Un jeu d’équilibriste au procès «Vigousse»
Une nouvelle audience dans l’affaire opposant un journaliste de l’hebdomadaire satirique à un employé communal de Versoix s’est jouée hier. Certains témoins, soumis au secret de fonction, n’ont pas eu la possibilité de tout dire. Le verdict doit être rendu ce mercredi
XLe journaliste de Vigousse est-il coupable de diffamation à l’égard du secrétaire général de la commune de Versoix? Cette affaire anime la municipalité depuis que le journal satirique a publié en septembre 2021 un article accusant l’employé de la mairie d’avoir instauré un climat de «terreur» dans l’administration.
Dans la procédure civile, le tribunal a conclu que le journal satirique a partiellement porté atteinte à l’honneur de l’employé communal et l’a condamné à verser 1 franc symbolique. Au pénal, son journaliste a été condamné en août 2022 pour diffamation. Il a fait opposition: c’est pourquoi l’affaire qui occupait hier le tribunal de Montbenon, à Lausanne, est plus genevoise que vaudoise.
Une certaine tension
Une attention toute particulière a été portée aux témoins demandés par le journaliste, dans l’espoir qu’ils puissent corroborer les éléments de l’article. Or un obstacle de taille a bousculé l’exercice: le conseil administratif de Versoix a refusé de délier du secret de fonction deux anciens employés ainsi que la conseillère Jolanka Tchamkerten, appelés devant la Cour. Contacté par Le Temps, le maire Cédric Lambert refuse de commenter ces décisions, celles-ci pouvant faire l’objet d’un recours. Les avocats de la commune, Mes Romain Jordan et Annette Micucci, ont souligné que «le Conseil administratif a rendu ses décisions en application des règles posées par la loi et a traité de manière égale les parties au litige».
A l’exception d’un conseiller municipal qui n’était pas soumis au secret de fonction, les témoins se sont soumis à un jeu d’équilibriste: répondre aux question sans évoquer la période durant laquelle ils étaient en contact avec le secrétaire général. Preuve d’une certaine tension, Jolanka Tchamkerten est venue assistée de son avocate. «Une farce» a dénoncé Me Charles Poncet, avocat du journaliste de Vigousse: «Je n’ai jamais vu de témoin suisse craindre les conséquences de son témoignage au point de prendre un avocat. Cela montre le climat que fait régner le plaignant sur l’administration.» Réponse de Me Nicolas Capt, avocat du secrétaire général: «Mme Tchamkerten a fait l’objet d’un blâme du Conseil d’Etat, ce qui peut sans doute expliquer sa prudence.» Une remarque qui rappelle le pendant politique de l’affaire Vigousse: elle a causé une scission au sein du Conseil administratif. Jolanka Tchamkerten s’est ainsi désolidarisée des procédures contre le journal satirique, alors que la commune s’est engagée aux côtés du secrétaire général dans la procédure civile. Un «diagnostic organisationnel» a été mené dans l’espoir de sortir la mairie de la crise.
Un cas particulier a été décortiqué. L’article incriminé estimait que le secrétaire général est à l’origine d’une «subornation de témoin», une accusation réfutée par le plaignant. Pour expliquer cette expression, le journaliste a raconté l’affaire d’un ancien employé communal, qui devait être licencié. Au cours d’une procédure, ce dernier devait témoigner à l’encontre de la commune. Mais après avoir signé une convention lui permettant de toucher neuf mois d’indemnités supplémentaires, il aurait changé son témoignage du négatif au positif.
Cette convention contient par ailleurs une clause interdisant à cet employé à dire du mal de la commune et de son secrétaire général. De quoi prouver, selon Vigousse, que la signature du contrat avait pour but de modifier un témoignage défavorable à la commune. L’événement aurait été rapporté au journaliste par deux sources et aurait mené à l’utilisation «maladroite», concède Me Poncet, de «subornation de témoin». Des explications risibles, a réagi Me Capt: les indemnités supplémentaires auraient été versées pour compenser des prestations sociales lacunaires, et permettre à cet employé de partir plus tôt à la retraite. C’est par ailleurs le Conseil administratif qui a négocié cette convention et non pas le secrétaire général, a-t-il ajouté.
«La satire ne doit pas salir»
Dans sa plaidoirie, Me Capt a souligné que ce «procès est celui de l’atteinte à l’honneur d’un homme et non un procès de censure à l’encontre des médias libres.» Et d’ajouter: «La liberté de la satire n’est pas celle de salir». L’avocat estime que le journaliste n’a pas apporté de preuve de vérité. En face, Me Poncet a plaidé la bonne foi du journaliste. «Il a agi dans un intérêt public. En tant que secrétaire général, le plaignant doit s’attendre à se faire asticoter.» Le tribunal vaudois donnera sa réponse ce mercredi.
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