A Berne, la mobilité individuelle à la fête
Placée sous le sceau de l’innovation, la 18e Journée des garagistes suisses se tenait hier dans la capitale en présence du conseiller fédéral Albert Rösti. La branche a fait bloc derrière les projets d’infrastructures routières de la Confédération. Et ten
XSous l’immense néon circulaire de la Kursaal de Berne, 900 garagistes – record d’affluence – écoutent Albert Rösti, conseiller fédéral UDC chargé des transports. «Je me réjouis beaucoup d’être là, assure celui qui s’éclipsera pour Davos dès son discours terminé. Depuis que je fais de la politique, je m’engage pour un pays libre. Et quel meilleur symbole de liberté que la voiture? Quand ils conduisent, les gens se sentent libres. La voiture nous permet d’aller où on veut et de transcender les distances. C’est le triomphe de l’individualité. Avec une voiture, on est indépendant, un besoin vital.»
Conquise, la salle applaudit à tout rompre. Personne ne remet en doute la vision de l’ancien président d’Auto-Suisse devenu ministre, qui est ici comme chez lui. Une fois la pause venue, beaucoup de participants partagent cependant leurs soucis: le ciel des garagistes suisses compte quelques gros nuages. La branche est en plein chambardement, ballottée entre le futur des routes du pays, le développement de la mobilité électrique et les problèmes de maind’oeuvre.
«Les bouchons ne sont pas non plus bons pour l’environnement»
L’Union professionnelle suisse de l’automobile (UPSA), rappelle le conseiller national et président de l’UPSA Thomas Hurter (UDC/SH), ce n’est pas rien: «4000 garages employant 40 000 employés, souligne le Schaffhousois. Des 125 milliards de kilomètres parcourus par la population suisse chaque année, 75% le sont en voiture. Personne ne peut s’en passer.» A peine arrivé dans la salle, Albert Rösti renchérit: «Nous avons décidé d’investir 5,3 milliards dans six mesures d’extensions autoroutières (notamment à Berne, près de Bâle, à Soleure et entre Lausanne et Genève). Malheureusement, un référendum a abouti pour s’y opposer. Nous devrions voter d’ici à novembre. Certaines de ces routes datent des années 1960, il faut absolument les rénover, c’est une mesure de sécurité. J’ajoute que ces projets sont aussi importants d’un point de vue écologique. Les bouchons ne sont pas non plus bons pour l’environnement.»
Le conseiller fédéral poursuit sur les besoins en énergie du futur, défend le Mantelerlass, paquet de lois sur la transition énergétique également menacé d’un référendum. Et prévient ses ouailles: «Les voitures électriques ont besoin d’énormément de courant.» Enfin, l’UDC demande de la compréhension pour la réintroduction d’un impôt sur l’importation de véhicules électriques en 2024 («un jour noir», avait réagi Auto-Suisse) et revient sur un souhait clivant de l’exécutif: subventionner les recharges pour véhicules électriques par l’impôt sur l’essence. La salle grogne. Une «activité physique» proposée à midi perd nettement son duel contre le buffet, où se retrouve une assemblée préoccupée.
«Je trouve qu’il est faux de pénaliser le moteur à essence pour subventionner l’électrique, maugrée un garagiste
«Les voitures électriques demandent beaucoup moins de services que celles à essence. Et ce sont les services qui font tourner les garages» CLAUDIA DUBACH, CONCESSIONNAIRE
zurichois. Il faudrait continuer de s’occuper des deux en même temps.» D’autant que si les professionnels ne s’opposent pas aux transformations en cours dans le secteur, «les voitures électriques demandent beaucoup moins de services que celles à essence, souligne Claudia Dubach, concessionnaire à Oensingen (SO). Et ce sont les services qui font tourner les garages.» La réduction des marges, les actions des écologistes et l’inflation complètent les conversations. Dans une salle très masculine, et alors que la branche se bat avec un manque de main-d’oeuvre, Claudia Dubach souligne l’évidence: «Il faut saisir le potentiel des femmes.» Un défi que l’UPSA semble commencer à saisir.
«L’industrie automobile a un problème avec les sexes»
Alors que la dernière Journée des garagistes n’avait compté qu’une seule interlocutrice, les expertes féminines sont bien plus nombreuses cette année. Le magazine distribué aux participants met deux apprenties du secteur en une. Et au lieu de la boutade discutable de 2023 – «La voiture compte parmi les plus grandes dépenses d’une vie. En dehors de ma maison et de ma femme» –, Thomas Hurter entame son allocution du jour par le souhait «d’accueillir davantage de femmes dans la branche». Une table ronde de garagistes de la génération Z (vingtenaires) organisée dans l’après-midi montre cependant qu’il reste du travail.
«Il est courant de s’entendre demander si c’est le jour des règles lorsque quelque chose ne va pas, témoigne Sophie Schumacher, 21 ans, mécatronicienne et première femme suisse à représenter le pays au championnat du monde des métiers en 2024. Il n’est pas tolérable que les femmes continuent d’être réduites à leur sexe dans les ateliers. L’industrie automobile a un problème général avec les sexes. Mais elle peut s’améliorer.» Garagiste et autrice d’un travail de bachelor sur les femmes dans l’industrie automobile, Simone Ruckstuhl abonde dans le même sens. «Si l’on veut changer les choses, il faudra démanteler les structures en place avant de les reconstruire.» La salle semble provisoirement pétrifiée, avant d’applaudir bruyamment.
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