Le Temps

Malgré les tirs, le loup pointe encore ses crocs

Alors que la fenêtre d’autorisati­on arrive à son terme dans quinze jours, les cantons romands dressent un bilan intermédia­ire. Le premier constat est que cela ne suffira pas à freiner la croissance démographi­que de l’animal

- RAPHAËL JOTTERAND @Raph_jott

X«En général, je ne chasse que ce que je mange et je ne mange que ce que je chasse. Mais ici, il s’agit de donner un signal sur la nécessité de réguler le loup de manière proactive.» La déclaratio­n du conseiller d’Etat valaisan Christophe Darbellay, qui annonçait en novembre à Keystone-ATS vouloir participer à la traque aux canidés «surreprése­ntés» en Valais, avait suscité beaucoup d’émoi.

L’initiative n’a toutefois rien d’illégal compte tenu du fait que c’est l’Office fédéral de l’environnem­ent (OFEV) qui a lancé une période de régulation préventive des meutes allant du 1er décembre 2023 au 31 janvier 2024. L’objectif est clair: freiner la croissance de la population de loups en Suisse. Pour justifier ces tirs, le départemen­t d’Albert Rösti se base notamment sur l’augmentati­on massive des indemnisat­ions pour les dégâts causés par le canidé. En 2019, la Confédérat­ion avait octroyé 156 721 francs aux éleveurs, puis 329 791 en 2021 et plus du double un an plus tard, soit 696 994 francs.

Trois cent individus en Suisse

Des attaques en hausse qui s’expliquent notamment par l’explosion de la population de loups en Suisse, comme le confirment les chiffres de la fondation Kora. En quatre ans, l’effectif a triplé pour atteindre la barre des 300 individus. Rien qu’en Valais, les autorités en dénombrent entre 90 et 120. Pour freiner cette croissance, le Conseil d’Etat a obtenu une autorisati­on pour abattre sept des 13 meutes présentes dans le canton, soit un total de 34 bêtes. A quinze jours de la fin de cette période de régulation, 25 loups ont été tirés mais l’objectif initial ne sera pas atteint. La faute au recours devant le Tribunal administra­tif fédéral (TAF) de trois organisati­ons écologiste­s qui, grâce à l’effet suspensif, sont parvenues à bloquer l’abattage des meutes de loups de Nanz (au moins cinq loups), du Fou-Isérables (au moins quatre loups) et des Hauts-Forts (au moins trois loups).

Autre canton répondant aux critères de la régulation préventive introduite par la nouvelle ordonnance sur la chasse, Vaud bénéficiai­t d’une autorisati­on de tir pour le mâle géniteur de la meute du MontTendre, considéré comme particuliè­rement nuisible. L’individu ne faisant l’objet d’aucun effet suspensif, le corps de police faune-nature a pu en venir à bout dans la nuit du 11 au 12 janvier. «En ciblant cet animal, l’objectif est de limiter le nombre d’attaques sur du bétail dans le secteur occupé par cette meute et d’éviter de nouveaux comporteme­nts indésirabl­es», précise Denis Rychner, conseiller en communicat­ion au sein de la Direction générale de l’environnem­ent (DGE). En septembre, deux jeunes loups de la meute du Mont-Tendre avaient déjà été tirés à la suite d’attaques répétées sur du bétail, alors qu’une autorisati­on court toujours pour abattre deux jeunes de la meute du Risoud. En 2023, «au moins» 25 loups ont pu être observés sur le territoire cantonal vaudois.

Dans les autres régions romandes, la situation n’est pas aussi tendue. A Neuchâtel, un loup a été abattu en octobre dernier après avoir tué neuf moutons en deux jours, mais depuis, le calme est revenu. «Contrairem­ent aux cantons de Vaud et du Valais, nous ne sommes pas concernés par la régulation préventive, simplement car nous n’avons pas de meute, commente Christophe Noël, chef du Service de la faune, des forêts et de la nature. Entre deux et cinq bêtes isolées ont été observées sur notre territoire en 2023. La meute la plus proche se situe à 10 kilomètres de nos frontières à vol d’oiseau.»

Mais pas question pour Christophe Noël et ses équipes de prendre cette thématique à la légère. «On s’attend, d’ici quelques années, à l’arrivée de meutes dans nos forêts. Dès cette année, nous allons renforcer notre dispositif de pièges photos avec la fondation Kora, afin de pouvoir documenter leur venue éventuelle sur notre territoire.» Le responsabl­e poursuit: «Les premières zones colonisées par le loup sont celles où vivent les plus grandes population­s de cerfs. Il va petit à petit se déplacer vers l’est en suivant les cerfs qui progressen­t lentement dans notre région.» De quoi augmenter le danger pour le bétail, face à des cervidés moins nombreux que dans d’autres régions? «Pas forcément, tempère Christophe Noël. Mais il faut admettre que c’est trop tôt pour y répondre. Grâce à l’expérience des autres cantons, nous bénéficion­s toutefois d’un temps d’avance en matière de protection des troupeaux.»

Même son de cloche dans le canton du Jura, qui ne compte que quelques individus isolés. «La clé est d’anticiper l’arrivée de meutes à l’intérieur de nos frontières, témoigne Amaury Boillat, inspecteur de la faune. Avec trois gardesfaun­e, dès qu’il y a l’apparition d’un loup, nos plans sont chamboulés. Parfois, le risque est de se focaliser exclusivem­ent sur cette espèce au détriment d’autres.»

A l’image des cantons de Neuchâtel et du Jura, Fribourg n’a pas eu besoin de suivre le programme de régulation préventive des meutes. En effet, depuis 2017 et l’empoisonne­ment de l’unique famille de canidés – une affaire par ailleurs non élucidée puisque l’enquête qui a suivi n’a pas permis d’établir les responsabi­lités –, aucune meute n’est revenue. En 2020, de premiers individus isolés ont été repérés à nouveau dans la région, sans inquiéter pour autant les autorités.

«Le seul problème du loup, c’est que nous avons perdu l’habitude de cohabiter avec lui, regrette Elias Pesenti, responsabl­e de la faune terrestre et inspecteur de la chasse au Service des forêts et de la nature. C’est une espèce qui a sa place en Suisse et à Fribourg et qui peut même nous être utile, par exemple dans la régulation des ongulés comme le sanglier et le cerf.» Un moyen de substituti­on efficace à la chasse? «Les deux sont complément­aires. Les loups nous permettent de garantir l’une de nos deux missions fondamenta­les qui est la durabilité écologique. En revanche, est-ce que nous avons besoin de beaucoup d’individus? La réponse est non car la durabilité économique serait en danger.»

«Pas de demi-mesures»

Mais selon Elias Pesenti, le dispositif légal permet justement de ne pas mettre cet équilibre en péril. «Si la situation s’avère problémati­que, on intervient. Le 23 août dernier, nous avons pu abattre un individu (M361) dont le nombre d’attaques avait dépassé le seuil requis par l’ordonnance sur la chasse pour obtenir une autorisati­on de tir. A Fribourg, la politique en la matière est très claire. Soit le minimum n’est pas atteint et on ne discute pas, soit il a été dépassé et on intervient. Il n’y a pas de place pour les demi-mesures», prévient le spécialist­e. Qui précise que seules les attaques sur les animaux de rente bénéfician­t de mesures de protection sont prises en compte.

Elias Pesenti a participé lui-même aux nombreuses heures d’observatio­n menant à l’abattage de M361, qui avait tué pas moins de neuf moutons sur le canton. Une expérience qui lui a permis de se rendre compte à quel point l’exercice est exigeant en termes de ressources. «Pour des questions de sécurité, le service ne veut pas laisser un homme seul la nuit, ce qui nécessite de jongler avec le planning de chacun, précise l’inspecteur de la chasse, qui estime que les gardesfaun­e ont passé près de deux cents heures à l’affût pour ce tir. Ce sont des missions très exigeantes car il faut rester allongé, et ne pas bouger, au même endroit, de 18h à 7h du matin. Il y a aussi la question du tir. Dans la nuit tout est plus complexe, de l’identifica­tion jusqu’au coup de feu.» A Fribourg, deux formations de tir par année sont obligatoir­es pour les gardes-faune. «Si la situation venait à se détériorer dans les prochaines années, il nous faudra un peu plus de soutien de la Confédérat­ion», estime Elias Pesenti.

Pour l’heure, ni l’Office fédéral de l’environnem­ent (OFEV) ni les organisati­ons écologiste­s ne souhaitent commenter la procédure en cours. Un bilan sera réalisé à la fin de la période de régulation afin de déterminer la direction à suivre pour la suite.

«Ce sont des missions très exigeantes car il faut rester allongé, sans bouger, de 18h à 7h du matin»

ELIAS PESENTI, SERVICE FRIBOURGEO­IS DES FORÊTS ET DE LA NATURE

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(SIVIEZ, 18 SEPTEMBRE 2017/OLIVIER MAIRE/KEYSTONE) Rien qu’en Valais, les autorités dénombrent entre 90 et 120 individus.

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