Boeing, un petit trou (d’air) et puis s’envole
L’avionneur américain se serait passé d’une nouvelle crise, surtout concernant son avion le plus vendu, le 737 MAX. Mais malgré les enquêtes et les doutes, les besoins du secteur devraient lui permettre de continuer à écouler ses appareils
Boeing n’aura même pas pu se réjouir du lancement réussi le 8 janvier de la fusée Vulcan, fruit de ses efforts conjoints avec Lockheed Martin. La porte arrachée en plein vol du fuselage d’un Boeing 737 MAX 9 de la compagnie Alaska Airlines le 5 janvier a une nouvelle fois jeté l’opprobre sur son modèle phare. Après les accidents d’un avion de Lion Air en 2018 et d’Ethiopian Airlines en 2019 ayant causé la mort de 346 personnes, l’avionneur américain avait vu son appareil cloué au sol pendant vingt mois.
La succession de revers qu’a connu le groupe ces dernières années ne s’arrête pas là. En 2021, il a dû immobiliser pour six mois 128 Boeing 777, son modèle gros porteur, après un incident moteur lors d’un vol. Le programme de développement du 777X, son successeur, lancé au début des années 2010, n’a cessé de prendre du retard. Sa certification a notamment été repoussée à la suite de… l’arrachement d’une porte lors d’un test en 2019. Les premières livraisons sont aujourd’hui prévues pour 2025.
Boeing a également rencontré de sérieuses difficultés dans d’autres domaines. Sa capsule spatiale Starliner a elle aussi connu une série de reports. En 2019, un premier vol inhabité échoue en raison d’un problème de logiciel. Il faut attendre 2022 pour un second essai, réussi, lui. Depuis, le premier vol avec un équipage a été repoussé à plusieurs reprises. Selon les dernières estimations données en novembre par l’agence spatiale américaine, il devrait avoir lieu le 14 avril prochain. Destinée à transporter des astronautes vers et depuis la station spatiale internationale, Starliner était en concurrence avec le vaisseau Crew Dragon de SpaceX, qui a, lui, accompli six missions avec succès depuis.
Avec la fin de la pandémie, un retour du trafic aérien à des niveaux proches de ceux de 2019 et des compagnies à nouveau en capacité d’acheter des appareils, jusqu’à ce nouvel incident, l’horizon était tout de même plutôt dégagé pour Boeing, malgré une perte de plus de 5 milliards de dollars en 2022. En 2023, il a enregistré 1456 commandes, dont 987 rien que pour le 737 MAX selon les chiffres donnés sur son site. Le constructeur a aussi livré 528 appareils contre 480 en 2022.
Des besoins toujours plus grands
Cette nouvelle crise ne devrait toutefois pas empêcher Boeing de continuer à écouler son modèle phare. Lors de la première crise du 737 MAX, l’avionneur avait enregistré des retraits de commandes, un phénomène amplifié par la pandémie avec l’obligation pour de nombreuses compagnies de restreindre leurs dépenses. Une fois l’orage passé, les commandes ont à nouveau décollé.
Le segment des avions moyens porteurs, où Boeing et Airbus sont les seuls à se concurrencer, est celui qui enregistre le plus de demande. Dans une projection présentée cette année, le constructeur européen prévoyait que, d’ici 2042, les besoins en nouveaux appareils seraient de 40 850 avions-cargos et passagers neufs, soit le environ double de la flotte mondiale en 2020.
Airbus a sans aucun doute bénéficié du trou d’air de la crise du 737 MAX. La semaine dernière, il indiquait avoir enregistré un chiffre record de 2319 commandes brutes en 2023, dont 1835 avions de la famille A320 (concurrent direct du B737). Mais le concurrent européen de Boeing a eu du mal à faire remonter en cadence ses lignes de production après l’arrêt dû au covid. En 2022, il n’avait livré que 661 appareils sur un objectif de 720. Mais en 2023, ce chiffre est passé à 735 (toujours sur un objectif de 720).
Paradoxalement, la situation a pu profiter à Boeing. Un carnet de commandes moins fourni signifie aussi des délais de livraison plus rapides, alors qu’il faut compter plusieurs années entre l’achat et l’arrivée des appareils sur le tarmac.
En juin, le C919 du constructeur chinois Comac, destiné à concurrencer l’A320 Neo et le B737 MAX, a effectué son premier vol commercial. Mais il faudra encore des années avant qu’il puisse espérer se hisser au niveau de ses deux concurrents occidentaux. Boeing a donc encore de la marge pour redresser la barre. En bourse, la crise du 737 MAX lui a moins porté préjudice que la crise du covid. En mars 2019, alors que les autorités de l’aviation civile des différents pays du monde clouaient une à une le 737 MAX au sol, son titre reculait d’environ 17%. Un an plus tard, alors que la pandémie se déclarait, il s’était effondré de 70%.
Redresser pour repiquer
Malgré tout, le dégât d’image causé au géant américain est bien réel. Les enquêtes sur les crashs de 2018 et 2019 avaient mis en lumière des problèmes internes de culture d’entreprise, trop axée sur la gestion financière au détriment de l’ingénierie. Elles avaient aussi mis en évidence un certain laxisme de la FAA, l’agence gouvernementale américaine chargée de réglementer l’aviation civile, qui se reposait essentiellement sur des contrôles menés par Boeing.
Arrivé à la tête du géant américain en janvier 2020, David Calhoun avait promis de réformer l’entreprise et la FAA de resserrer la vis. Des engagements manifestement encore insuffisants. Son titre, qui repartait à la hausse depuis l’automne, recule de 16% par rapport au début du mois.
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