Pourquoi le bitcoin a perdu 10% après le feu vert de la SEC
L’approbation de l’ETF spot par le gendarme de la finance américain était présentée comme un événement porteur pour le cours de la plus grande des cryptomonnaies. Mais celui-ci a été anticipé durant les mois précédents et a donné lieu à des mouvements con
L’autorisation d’ETF investissant directement en bitcoin aux Etats-Unis, survenue le 10 janvier, a été systématiquement présentée par les observateurs du secteur comme un événement qui allait faire monter le cours de la plus grande des cryptomonnaies. Car de tels fonds passifs permettront à des particuliers et des institutionnels d’investir très facilement dans le bitcoin et pour des frais très limités. Son cours a néanmoins baissé d’environ 10% depuis le feu vert des autorités. Sur quoi repose cet apparent paradoxe?
Un bitcoin vaut autour de 43 000 dollars depuis le 13 janvier, alors qu’il avait frôlé la barre des 49 000 dollars peu après l’autorisation de la mise sur le marché d’ETF au comptant par la SEC, le gendarme de la finance américaine. Pour comprendre cette évolution, il faut remonter à fin août 2023, lorsque le gérant d’actifs américain Grayscale a remporté un procès très suivi contre la SEC. La justice américaine avait estimé que le surveillant de Wall Street avait refusé à tort d’autoriser Grayscale à transformer son trust investissant en bitcoin, réservé aux investisseurs sophistiqués et aux institutionnels, en ETF «spot», c’est-à-dire un fonds passif coté en bourse qui achèterait directement des bitcoins et qui serait accessible pour le grand public.
Cours trop facilement manipulable?
La SEC avait jusque-là toujours refusé ce genre d’instrument, estimant notamment que le cours du bitcoin pouvait être trop facilement manipulé. Par la suite, la SEC a dû se prononcer sur la demande d’autorisation d’une dizaine de sociétés d’investissement souhaitant lancer un ETF spot sur le bitcoin, avant la décision du 10 janvier.
«Beaucoup d’investisseurs ont acheté du bitcoin en prévision de la décision de la SEC, pensant qu’une fois qu’elle serait officielle, et positive, le cours progresserait rapidement vers 50 000 ou 60 000 dollars», résume Anthony Fournier, de Criptonite, une société de gestion genevoise spécialisée dans les actifs numériques. Résultat, le cours du bitcoin a bondi de près de 75% entre mi-octobre et le 9 janvier, la veille de l’annonce de la SEC, pour valoir autour de 47 000 dollars.
La décision attendue est bien arrivée, mais elle a provoqué un recul du bitcoin. Pour plusieurs raisons, poursuit Anthony Fournier: «Tout d’abord, il s’agit d’un cas classique d’«acheter la rumeur et vendre la nouvelle.» Cet adage boursier signifie que les investisseurs anticipent l’effet qu’une nouvelle aura sur un actif financier, puis clôturent leurs positions une fois qu’elle est officielle.
Un autre élément d’explication est lié à Grayscale, enchaîne Bruno Sousa, de Hashdex, une société d’investissement spécialisée dans les cryptos: «Le trust de Grayscale a subi des retraits de l’ordre d’un demi-milliard de dollars, car cet instrument exposé aux cryptos, l’un des plus grands existants avec 28 milliards de dollars d’avoirs, pratique les frais de gestion les plus élevés des Etats-Unis alors que ceux des ETF spot sont bien plus bas.» A savoir entre 0,2 et 0,3%, contre 1,5% pour Grayscale. Les capitaux sortis du trust de ce dernier ont compensé ceux qui sont allés vers les nouveaux ETF, selon le spécialiste.
Ensuite, dans les heures précédant l’annonce de la SEC, le compte de cette dernière sur le réseau social X a été piraté et a annoncé un feu vert que le régulateur a dû démentir, avant d’officialiser finalement l’autorisation d’ETF spot. «Quand il est apparu que la première annonce résultait d’un hacking, quelque 300 millions de dollars de bitcoins ont été vendus en moins de trete minutes, notamment par des traders algorithmiques [des programmes automatisés qui passent des ordres boursiers à la milliseconde, ndlr], reprend Anthony Fournier, de Criptonite. Cela a empêché le cours d’aller plus haut par la suite, et donc poussé des spéculateurs à vendre, de manière à prendre leurs profits.» Ces spéculateurs avaient souvent utilisé un effet de levier prononcé pour investir, si bien que lorsque le bitcoin a commencé à baisser, ils n’ont pas pu tenir leurs positions.
«Personne ne sait ce qui va se passer»
Et maintenant que la plus ancienne crypto est redescendue sous les 43 000 dollars? Bruno Sousa, de Hashdex, estime qu’il faudra un mois pour que la poussière retombe et que des tendances commencent à apparaître.
En théorie, les sociétés autorisées à vendre des ETF spot doivent massivement acheter du bitcoin. La dizaine de ces produits lancés jeudi 11 janvier a attiré près de 1,5 milliard de dollars en quarante-huit heures, dont près de 500 millions pour l’ETF de BlackRock, le plus grand gestionnaire au monde avec 10 000 milliards de dollars d’avoirs fin 2023, selon Bloomberg. A titre de comparaison, la capitalisation boursière du bitcoin est proche de 835 milliards de dollars.
«Honnêtement, personne ne sait ce qui va se passer, conclut Anthony Fournier, de Criptonite. Si de grands gérants comme BlackRock consacrent ne serait-ce que quelques pour cent de leurs avoirs au bitcoin, l’effet sur les cours pourrait être considérable. A l’inverse, il est très probable que ces acteurs ont accumulé des bitcoins dans les mois précédant l’annonce de la SEC.» Anticipant, eux aussi, l’autorisation des ETF spot.
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