La Ligue 1 qui aime de plus en plus les joueurs suisses
Le transfert du défenseur genevois, Ulisses Garcia, de Young Boys à l’Olympique de Marseille porte à 11 le nombre de joueurs suisses dans le Championnat de France. C’est bien plus que par le passé, avec des profils très différents de ceux des pionniers
L’Olympique de Marseille a officialisé hier le transfert du défenseur Ulisses Garcia, qui quitte donc Young Boys. A ses lecteurs, le quotidien L’Équipe apprend que le Genevois, 28 ans, sept sélections, a signé un contrat de quatre ans et demi pour un montant estimé à 3 millions d’euros. Mais c’est une autre donnée statistique qui retient notre attention. Ulisses Garcia porte à 11 le nombre de Suisses actuellement en Ligue 1. C’est bien plus que n’importe quand par le passé, et c’est autant qu’en Bundesliga, la destination historiquement privilégiée par les joueurs suisses.
Le dixième a signé en tout début d’année. Remplaçant à Bologne, le défenseur Silvan Hefti a été prêté (avec option d’achat) à Montpellier, où il rejoint le Genevois Becir Omeragic, arrivé cet été. Les autres sont Fabian Rieder au Stade Rennais, Eray Cömert au FC Nantes, Philipp Köhn, Denis Zakaria et Breel Embolo à l’AS Monaco, Vincent Sierro à Toulouse, Yvon Mvogo à Lorient et Jordan Lotomba à Nice. A ces noms peuvent s’ajouter ceux qui sont contingentés en équipes de jeunes, comme Roggerio Nyakossi et Esey Gebreyesus, à l’OM également.
Ce nombre record est le résultat d’un lent processus. La Suisse a d’abord exporté en France un footballeur de temps en temps (Trello Abegglen à Sochaux dans l’entre-deux-guerres, Jacky Fatton à l’Olympique Lyonnais de 1954 à 1957), puis deux (Philippe Pottier et Norbert Eschmann dans les années 1960, Daniel Jeandupeux et Gabet Chapuisat dans les années 1970, Bertine Barberis et Michel Decastel au début des années 1980, Lucien Favre et Alain Geiger un peu plus tard). D’autres ont suivi, comme Patrick Müller à l’OL, Johann Lonfat à Sochaux ou Fabio Celestini à Troyes et à l’OM, le Stade Rennais en a même fait une spécialité (Christophe Ohrel, Marco Grassi, Alexander Frei, Gelson Fernandes), mais toujours par grappes de trois ou quatre, pas plus. Alors comment est-on passé à 11 Suisses en Ligue 1?
Les Suisses, les Belges et les Nordiques
Pour y répondre, il faut étudier leur profil. Ce sont des joueurs à vocation défensive (deux gardiens, deux défenseurs centraux, quatre latéraux, deux milieux de terrain et un attaquant) et majoritairement des Romands (sept sur onze). A l’exception de Zakaria et Embolo, aucun n’est un cadre de l’équipe de Suisse. A l’exception de Rieder et d’Omeragic (21 ans tous deux), aucun n’est véritablement l’un de ces jeunes talents sur lequel un club peut espérer une forte plus-value à moyen terme.
Ce sont tous des joueurs fiables, loués pour leur bagage tactique sur le terrain et leur absence de problème en dehors. Ils ont été recrutés pour leur valeur objective (et non spéculative), leur apport immédiat, leur capacité à compléter un collectif, voire à l’encadrer. S’ils sont sur le banc, ce n’est pas un drame parce qu’ils ne sont pas très connus – «C’est toujours plus facile de mettre remplaçant un Suisse qu’un Brésilien», observait en son temps Christophe Ohrel – et parce qu’ils n’ont pas coûté très cher. Les six mois de Shaqiri à Lyon en 2021-2022 (13 matchs, 1 but, 10 millions d’euros de transfert) sont d’ailleurs le seul gros flop suisse en Ligue 1.
«C’est drôle, hier un journaliste spécialisé dans le foot belge me disait qu’il n’y avait jamais eu autant de joueurs belges en Ligue 1, ironise Vincent Duluc pour planter le décor. Il est possible qu’il n’y ait jamais eu autant de Belges, de Suisses, de Néerlandais, de Scandinaves dans notre championnat parce que les joueurs italiens ou anglais sont devenus inaccessibles et parce que nos clubs se sont mis au scouting de manière plus sérieuse», estime la grande signature football de L’Équipe.
Montpellier se félicite chaque jour d’avoir dégoté Becir Omeragic, après avoir déjà eu la main heureuse en 2020 avec le gardien Jonas Omlin. Le cas le plus emblématique est Vincent Sierro, joueur pas spécialement coté en Suisse mais devenu le capitaine d’un «Téfécé» où le président, Damien Comolli, cherche à monter l’équipe avec le meilleur rapport qualité-prix de l’Hexagone en se basant sur l’étude statistique. «Les joueurs suisses correspondent aux clubs de milieu de tableau de Ligue 1, corrobore Vincent Duluc. Il n’y a pas de joueur suisse au PSG, et il n’y a plus de Belge…»
Les regards ont changé
«Les joueurs italiens ou anglais sont devenus inaccessibles» VINCENT DULUC, JOURNALISTE À «L’ÉQUIPE»
Si les clubs français ont appris à considérer le football suisse – «et plus encore après les succès de Bâle sur Nice ou de la Nati sur les Bleus», relève un communiquant de la Swiss Football League –, les joueurs suisses regardent également le football français d’une autre manière. «Longtemps, les jeunes Suisses d’origine italiennes, espagnoles ou portugaises ne voulaient rien d’autre qu’un transfert dans leur pays d’origine, observe l’agent de joueurs Costa Bonato, impliqué notamment dans la venue de Nyakossi à l’OM. C’était aussi l’intérêt de leurs agents car la Fédération française obligeait à travailler avec un agent agréé par elle. Les mentalités ont changé quand Guy Roux a déniché Stéphane Grichting en Valais pour le prendre à l’AJ Auxerre en 2002.» Prototype du joueur de devoir peu spectaculaire, Grichting a réalisé une carrière sans doute inespérée, devenant le footballeur suisse qui compte le plus de matchs en Ligue 1.
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