A Berne, des films musicaux qui questionnent nos stéréotypes
Depuis quatorze ans, le Norient interroge notre monde à travers le prisme de la musique au cinéma. L’édition 2024, qui s’est achevée dimanche, a porté un nouveau regard, rempli d’espoir
Participer au Norient Festival, c’est un peu comme prendre le train, l’esprit curieux et vagabond, sans connaître sa destination finale. Samedi dernier au Progr, le grand centre culturel de la ville de Berne, à deux pas de la gare, la station de départ s’appelait Bubble 02. Une session d’écoute où s’enchaînaient et se juxtaposaient lectures et sons animés par l’artiste afro-descendante de Berlin (Nicole Pearson), un Dj et programmateur de Nairobi (Raphael Kariuki), l’auteur et poète ghanéen Kwame Aidoo ainsi que l’un des membres du bureau berlinois de Norient (Philipp Rhensius). La performance était pensée comme une façon de lutter contre notre soumission aux flux continus des réseaux sociaux. Une méditation guidée d’un genre nouveau permettant de découvrir «des textes qui rient, pleurent, saignent et transpirent» enveloppés dans des nappes de sons captivants. Une bonne introduction à la façon unique qu’a l’équipe de Norient de déjouer nos a priori et de partir du cinéma pour se déployer dans des formats pluridisciplinaires.
Une petite heure plus tard, la salle s’est transformée en lieu de conférence et a fait converser plusieurs intervenants kényans résidant dans leur pays d’origine ou en
Europe autour de cette question: «Pourquoi le mouvement est autorisé à certaines personnes, mais pas à d’autres?» La réalisatrice Emma Mbeke Nzioka était la directrice artistique de cette 13e du Norient Festival. Modératrice du panel, elle constate: «Les artistes sont concernés par l’identité, par le soi: leur parole doit être entendue. On ne peut pas régler la question de la migration [de courte ou de longue durée] en ne prenant en compte que la dimension économique.»
A cet effet, celle qui est aussi connue en tant que DJ sous le nom de Coco Em a créé un collectif, Pass Pass, basé au Kenya, qui «appelle à l’unité mondiale en éliminant les frontières et les restrictions de mouvement». Une utopie face à un monde d’Etats-nations qui se referme de plus en plus sur luimême? «J’admets que la situation actuelle est vraiment déprimante, reprend-elle dans un large sourire, mais les choses évoluent toujours par cycle. Je suis persuadée que nous sommes à la fin d’un cycle. Les choses tendent à se radicaliser quand on arrive au bout de quelque chose. Je reste confiante. Les choses vont changer, ce n’est qu’une question de temps…»
Au cinéma Rex, le soir, il est question de «renverser le regard occidental» à travers un autre débat et deux films radicalement différents: le court métrage Katogo, de Noah Grothe, propose une série de scènes, parfois choquantes, filmées en immersion à Kampala et réalisées avec plusieurs artistes ougandais. «Les images les plus puissantes viennent de la force collective et de la diversité», explique le réslisateur, qui se présente comme un citoyen du monde blanc.
Le piège de l’exotisme
A l’opposé, le très consensuel Twist à Bamako, de Robert Guédiguian, traite des folles années de l’indépendance au Mali où la jeunesse s’émancipe aux sons du twist. Tourné au Sénégal, le film a pour héros un couple de jeunes Maliens, interprétés par des acteurs français afro-descendants. Sa caméra n’évite pas le piège de l’exotisme, voire de quelques invraisemblances. Il n’empêche, Twist à Bamako apporte sa pierre à l’édifice d’une réflexion sur la collision entre les perceptions d’un monde rural traditionnel qui se veut immuable et l’utopie communiste révolutionnaire du Mali des années 1960.
Pour Thomas Burkhalter, fondateur de la plateforme Norient, qui s’emploie depuis plus de vingt ans à concevoir la musique, le son et le bruit comme des «sismographes de notre temps», et opère comme un chaînon facilitant la réflexion de journalistes, anthropologues, musiciens, DJ, chercheurs, «il est faux de penser que seul un réalisateur suisse peut faire un film sur la Suisse. Et cela est valable partout. Après tout, nous vivons tous sur la même planète.»
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La musique, le son et le bruit: des «sismographes de notre temps»