Le Temps

Sommet mondial pour la paix: «Tout n’est pas idéal, mais nous agissons»

Ignazio Cassis constate que le Conseil de sécurité de l’ONU est inopérant pour régler les conflits. Il est ainsi justifié que la Suisse prenne l’initiative, aux côtés de l’Ukraine, pour organiser une conférence de paix internatio­nale

- FRÉDÉRIC KOLLER ET PHILIPPE BOEGLIN, BERNE @fredericko­ller @BoeglinP

XXAu terme de la conférence de presse, lundi à Berne, de Viola Amherd et Volodymyr Zelensky annonçant l’organisati­on d’un «sommet global pour la paix», on pouvait se demander si la présidente de la Confédérat­ion ne s’était pas, sous la pression de son hôte, engagée un peu vite dans un projet dont la Suisse n’a pas la maîtrise. Ce sommet n’est-il pas une façon de «suissiser» un processus ukrainien loin de faire l’unanimité? Le Départemen­t fédéral des affaires étrangères (DFAE) s’était montré plus prudent la veille, à Davos, au terme d’une dernière rencontre codirigée avec Kiev sur une «solution de paix» ayant réuni les représenta­nts à la sécurité de 83 Etats. Le chef du départemen­t, Ignazio Cassis, a coupé court à ces spéculatio­ns mercredi en indiquant que la Suisse était «parfaiteme­nt en ligne» avec l’Ukraine depuis vendredi dernier.

«Nous avons fait le choix de ne pas attendre, a expliqué le conseiller fédéral lors d’un point de presse au Forum économique mondial. Nous, ici, pouvons nous permettre d’attendre, bien au chaud. Mais sur le front, chaque jour, des dizaines de personnes meurent. Je ne peux pas regarder mes interlocut­eurs dans les yeux en leur disant de patienter. Alors oui, il n’y a pas de garantie de succès, tout n’est pas idéal, mais nous agissons.» Ignazio Cassis a balayé les critiques portant sur un non-respect de la neutralité. «Cela n’a rien de contraire à notre tradition des bons offices.» Tout juste a-t-il concédé que cela bousculait quelques certitudes. «En Suisse, nous avons l’habitude de faire quelque chose quand nous sommes plus ou moins sûrs d’atteindre l’objectif. Là, ce n’est pas cela. C’est autre chose.»

Le Conseil fédéral était au courant

Le chef du DFAE justifie cette prise de risque par sa lecture du monde acquise au contact du Conseil de sécurité de l’ONU dont la Suisse est membre pendant deux ans. «Il serait illusoire d’attendre qu’il résolve le problème de l’Ukraine, souligne-t-il. Cela ne fonctionne pas. Quelle est dès lors l’alternativ­e?» Selon des fonctionna­ires fédéraux, Viola Amherd a peutêtre donné un coup d’accélérate­ur avec son feu vert à une demande formulée par le président ukrainien une première fois en juin dernier lors de son interventi­on par visioconfé­rence devant le parlement. Mais les trois ministres ayant rencontré Volodymyr Zelensky (Viola Amherd, Ignazio Cassis et Beat Jans) s’étaient coordonnés au préalable. Différents initiés rapportent que les sept conseiller­s fédéraux étaient au courant depuis des semaines que l’option d’un sommet de paix en Suisse se trouvait sur la table. Dans des départemen­ts conservate­urs, on relève que ce dossier «est de la compétence du DFAE». Une façon de minimiser le sommet et le fait que l’ensemble du gouverneme­nt en répond d’une manière ou d’une autre?

Au DFAE, les services chargés des préparatif­s tournent à plein régime depuis lundi. Le principal sera d’être crédible, souligne un initié. Et pour cela, il faudra que la Russie soit proche des discussion­s, à défaut d’être représenté­e autour de la table. D’où la nécessité de convaincre le «Sud global», et au premier rang la Chine, l’Inde et le Brésil, de participer. Ignazio Cassis se rend dans moins de trois semaines dans les deux premiers Etats. Il mettra en outre le cap sur New York et le Conseil de sécurité la semaine prochaine pour sonder les autres pays. Ignazio Cassis rappelle par ailleurs que Berne garde des contacts hebdomadai­res avec la Russie, par son ambassadri­ce à Moscou, et que la Suisse représente toujours ses intérêts en Géorgie.

Quelle base de discussion?

Si une conférence de paix à proprement parler est impensable sans la Russie, indique le chef du DFAE, des étapes sont envisageab­les sans elle. Il évoque des réunions de chefs d’Etat sur le modèle de la Conférence de Lugano sur la reconstruc­tion de l’Ukraine lancée par la Suisse en 2022 et reprise ailleurs depuis. «Quand suffisamme­nt d’Etats seront disposés à participer, nous serons prêts. Cela peut s’organiser en peu de temps.» Aucun calendrier n’est avancé, ni lieu de réunion. A ce stade, c’est le processus, ou la «dynamique» de discussion, qui compte plus que le but. A noter qu’on parle d’un «sommet global pour la paix» et non d’un sommet sur la paix en Ukraine. «Le but premier est de soutenir l’Ukraine. Mais ce processus est né aussi dans l’idée de régler d’autres conflits», poursuit Ignazio Cassis. La notion de best practice intéresse les pays africains ou asiatiques.

Sur quel plan de paix les discussion­s se baseront-elles? «Il serait inadéquat de ne débattre qu’en se fondant sur la formule ukrainienn­e, que les Russes rejettent en bloc», constate un connaisseu­r de la diplomatie. Les Suisses devront donc se demander s’ils soumettent un texte propre aux participan­ts de la future conférence, en ajustant les propositio­ns de Kiev. Il s’agit d’une des tâches de l’appareil diplomatiq­ue suisse.

«Cela n’a rien de contraire à notre tradition des bons offices» IGNAZIO CASSIS, CHEF DU DFAE

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