En Suisse, l’école selon Emmanuel Macron détonne
Le président de la République française a présenté mardi soir une demi-douzaine de mesures pour redorer le blason de l’école publique. En Suisse, les experts en la matière soulignent certaines initiatives mais ne crient pas à la révolution
XAccoudé à la table d’un somptueux pupitre blanc, surélevé par rapport aux plus de 200 journalistes présents mardi soir à l’Elysée, Emmanuel Macron a entamé sa grande rentrée politique 2024 avec décontraction et panache. Rien de révolutionnaire, non, mais tout de même quelques annonces marquantes.
Sans surprise, le président a décidé de mettre l’accent sur la formation. Un bon moyen de rassurer la population quant au fait que, malgré la promotion du populaire Gabriel Attal du poste de ministre de l’Education nationale et de la Jeunesse au poste de premier ministre, les grandes réformes, promises après les résultats décevants dévoilés en novembre par l’enquête Pisa, ne seraient pas abandonnées. Si, en France, ses principaux opposants se sont empressés de faire part de leur indignation, en Suisse, quelle note les experts de la formation ont-ils attribuée au chef d’Etat?
Imposer l’uniforme
Sur la demi-douzaine d’annonces présentées par Emmanuel Macron sur l’éducation, la plus significative est probablement celle de vouloir instaurer, dès 2026, la tenue unique dans tous les établissements scolaires du territoire, pour autant que la période d’essai, qui débutera en septembre 2024 sur une centaine de sites, soit jugée concluante.
En Suisse, plusieurs cantons ont déjà eu ce genre de débats à l’intérieur de leur parlement respectif. En Valais, l’UDC avait justement proposé en 2019 d’harmoniser les tenues vestimentaires des élèves. Mais sur les 126 députés présents ce jour-là, seuls 25 avaient soutenu le texte du parti conservateur. Chef du Service de l’enseignement, Jean-Philippe Lonfat estime que, malgré quelques avantages, cette proposition n’a aucun sens. «L’habillement fait partie de la construction de l’adolescent. L’en priver pourrait modifier son développement personnel ou même sa personnalité.» Il faut aussi dire que d’un point de vue technique et économique, il y a aussi de nombreuses contraintes pour l’Etat. Par exemple, la commande, la livraison et la gestion des uniformes sont des aspects à ne pas négliger et sont très compliquées à mettre en place. Des recommandations claires de décence, d’hygiène ou de sécurité suffisent et permettent d’éviter des uniformes.
Pour Andrea Gmür-Schönenberger, conseillère aux Etats lucernoise du Centre et enseignante d’anglais et de français de 1991 à 2007 dans plusieurs gymnases, il n’y a aucun besoin d’intégrer l’uniforme. «Il n’y a pas de nécessité à ce sujet. En revanche, si des cantons veulent faire des tests, je trouverais ça positif pour en tirer un enseignement. Car l’uniforme a quand même l’avantage d’éviter les discriminations sur les marques et de supprimer une certaine pression sociale que les jeunes peuvent s’infliger entre eux.» De son côté, Alain Moser, directeur de l’école privée qui porte son nom, estime que l’annonce d’Emmanuel Macron est une ineptie. «Je ne comprends pas cette volonté. Ni en Suisse ni en France, la tenue unique ne fait pas partie de notre culture, comme ça peut être le cas en Angleterre.
Apprendre l’hymne national
«Sur nos monts, quand le soleil. Annonce… réveil. Et… le retour.» Emmanuel Macron a également confirmé mardi soir sa volonté de renforcer l’esprit de nation en généralisant son service national universel ou en faisant de l’apprentissage de La Marseillaise un moment «indispensable». «C’est une bonne idée, soutient Andrea Gmür-Schönenberger. Je ne vois pas pourquoi un enfant ne devrait pas connaître l’hymne. A Lucerne, lors du 1er Août, tout le monde a le texte sous les yeux. Un peu de patriotisme n’est pas mauvais et je pense que nous pouvons développer ce sentiment de cohésion nationale dans nos écoles.»
«C’est bien de connaître l’hymne national, poursuit Jean Romain. Mais le chanter tous les matins, comme en Corée, je ne souhaite pas cela.» Président des syndicats d’enseignants romands, David Rey va plus loin. «Autant je suis très attaché à mon pays, autant je ne vois pas l’intérêt de faire de l’apprentissage de l’hymne national un objectif prioritaire. Une incitation collective à un moment de l’année? Pourquoi pas.»
Retour des cours de théâtre et d’histoire de l’art
«C’est bien de connaître l’hymne national. Mais le chanter tous les matins, comme en Corée, je ne souhaite pas cela» JEAN ROMAIN, ÉCRIVAIN ET MEMBRE DU PARTI LIBÉRAL-RADICAL GENEVOIS
«Je trouve que c’est une proposition très maligne, sourit Alain Moser. En pleine révolution technologique, il faut bien se rendre compte que l’intelligence artificielle aura des capacités que l’homme n’aura jamais pour résoudre par exemple des problèmes de mathématique. L’avantage qu’on aura toujours sur les machines, c’est la compréhension du monde et de l’histoire. Il faut donc remettre l’accent sur les sciences humaines, la philosophie et l’oralité.» A l’école Moser, l’oral, dans le cadre des travaux de maturité, vaut déjà 70% de la moyenne. «C’est le seul moyen de savoir si l’élève a bien étudié. Bientôt, on ne pourra plus contrôler si c’est bien lui qui a écrit son travail.»
En Valais, Jean-Philippe Lonfat estime que les cours de français laissent déjà une place importante à l’oralité et que les fondamentaux que sont les maths, le français ou les langues étrangères doivent rester au coeur du programme. «La lecture, l’écriture, les calculs ou les connaissances générales sont des fondamentaux incontournables de l’apprentissage et doivent le rester. En revanche, on prône une école ouverte sur le monde, créative et innovante, avec des stages en entreprise, des sorties dans la nature, et aussi, parfois, la conception de spectacles par des classes. Il me semble que nous avons une formation équilibrée.»
Réguler l’usage des écrans
Quatrième mesure phare annoncée par Emmanuel Macron: réguler l’utilisation et le temps d’écran. «A partir du moment où on introduit des tablettes à l’école, nous devons instaurer des règles, témoigne Alain Moser. Nous devons retrouver une forme de sobriété numérique et utiliser la technologie à des moments clés. Pendant le covid, nous [l’école Moser, ndlr]) sommes allés trop loin et, là, nous sommes déjà en train de revenir en arrière en voulant limiter le temps d’écran à 30% du temps scolaire.» Faire un pas en retrait, voilà une mission qui n’a rien d’évident. «Tout le monde a les yeux scotchés sur un écran. Comment voulez-vous dire aux adolescents de faire le contraire?» questionne Jean Romain, qui voit cependant d’un mauvais oeil l’introduction de tablettes en classe.
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