Le Temps

Procès de la faillite de la banque Hottinger

En 2015, un important client de l’ex-établissem­ent privé avait voulu transférer ses avoirs juste avant le dépôt de bilan. Mais son virement de 89 millions n’avait pas été exécuté. Deux ex-cadres de la banque sont accusés de gestion déloyale

- SÉBASTIEN RUCHE @sebruche

Plus de huit ans après les faits, la faillite de la banque Hottinger occupe encore la justice. Deux anciens cadres de l’établissem­ent sont jugés depuis hier à Genève, soupçonnés de gestion déloyale aggravée et d’abus de confiance. Alors qu’Hottinger s’enfonçait dans les difficulté­s, en octobre 2015, un important client, Samuel Dossou (un ancien conseiller du président gabonais Omar Bongo, qui a fait fortune dans le pétrole) a souhaité déplacer ses avoirs – 89 millions de dollars – vers une autre banque. Mais son ordre de virement n’a pas été exécuté avant que la faillite d’Hottinger ne soit prononcée, le lundi 26. Le client n’a récupéré que 33 millions dans l’affaire et espère revoir le reste de ses avoirs, toujours sous séquestre.

Pourquoi son virement n’a-t-il pas été effectué avant le week-end? Qui avait décidé quoi, entre les deux prévenus? En ce mois d’octobre 2015, Hottinger, exsangue, négocie pour être reprise par une autre petite banque privée genevoise, CBH, sur instructio­n de la Finma. Le 21 octobre, Samuel Dossou donne l’ordre à son gérant de transférer ses 89 millions vers la banque Safra Sarasin. Ce ne sera jamais fait. Les avoirs de l’homme d’affaires étaient déposés sur un compte global ouvert auprès de Lombard Odier, puis répartis auprès de quatre autres établissem­ents, et investis dans des dépôts fiduciaire­s. Pour que l’ordre de virement du client soit exécuté, ces placements devaient donc être clôturés et l’argent devait remonter chez Lombard Odier, puis vers Hottinger.

Pour P.*, qui a géré les avoirs de Dossou pendant plus de vingt ans, toutes les conditions étaient remplies pour que les actifs de son client soient virés chez Safra Sarasin le vendredi 23 octobre. Le gestionnai­re avait entré l’ordre de remboursem­ent des dépôts dans le système d’Hottinger le 21, les fonds devaient arriver à la banque le 23 et le virement serait effectué à cette date. P.* avait même obtenu vendredi matin la 2e validation nécessaire au sein d’Hottinger pour ce genre d’opération, après s’être démené pendant deux jours, affirme-t-il. «Dans [son] esprit, les fonds étaient libérés» le vendredi.

D.* assure quant à lui ne pas avoir ordonné de bloquer le transfert. Entre les contrôles à effectuer, les autorisati­ons à obtenir et le délai de remboursem­ent de 48 heures des dépôts fiduciaire­s, les procédures bancaires prennent du temps, indique cet ancien cadre. Tant que les 89 millions n’étaient pas arrivés chez Hottinger, impossible d’exécuter l’ordre de virement de Samuel Dossou, car la banque en détresse n’allait pas les avancer à son client.

Echanges de courriels troublants

L’affaire est encore obscurcie par des échanges de courriels troublants. L’un mentionne: «Nous avons reçu paiement de 89 millions», un autre que l’instructio­n de virement envoyée à Lombard Odier ne devait «pas être exécutée avant le lundi 26». Des éléments interprété­s différemme­nt par les protagonis­tes. La reprise par CBH ne se concrétise finalement pas le vendredi 23, contrairem­ent à ce qui était prévu. Pour Jean-Marc Carnicé, l’un des trois défenseurs de Samuel Dossou, les prévenus n’ont pas hésité à trahir ce dernier pour sauver Hottinger et préserver leurs intérêts. Conserver cet important client aurait rendu la banque plus attractive pour un repreneur et un «deal» aurait pu encore être espéré durant ce fameux week-end.

18 mois avec sursis requis

Présent au tribunal, l’homme d’affaires bénino-gabonais se souvient d’avoir été averti par P. qu’une fusion était négociée, mais pas qu’une faillite était possible, ni que son virement n’avait pas été exécuté.

S’appuyant sur les déclaratio­ns de Lombard Odier selon lesquelles tous les dépôts fiduciaire­s avaient été remboursés le vendredi 23, la procureure Maria Vinogradov­a affirme que les accusés «ont agi par dol éventuel en acceptant le risque qu’en retardant le transfert, les avoirs du client tombent dans la masse en faillite». Les deux banquiers ont donc violé leur devoir d’exécuter les ordres du client, l’un en bloquant le transfert, l’autre en lui affirmant que son virement avait été exécuté. La procureure requiert une peine privative de liberté de 18 mois avec sursis pour les deux prévenus.

Représenta­nt la masse en faillite, l’avocate Mariam Oueslati dédouane pour sa part les prévenus, qui n’ont eu «aucune prise sur la succession de faits malheureux» qui ont empêché le virement. Elle plaide le rejet de la restitutio­n de 50 millions à Samuel Dossou et la levée du séquestre sur le compte global hébergé chez Lombard Odier. Le procès se poursuit ce matin avec la plaidoirie de la défense. ■

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