Pourquoi l’Europe laisse le hockey de glace
Il aura fallu une qualification pour la finale, le 20 février aux Vernets contre Skelleftea, pour que les supporters de Genève Servette se passionnent pour la Champions Hockey League. En parallèle, l’équipe servettienne suscite l’engouement en football
XEn hockey sur glace, une polémique peut en chasser une autre à la vitesse d’un changement de ligne et les avis tranchés d’hier peuvent survivre à peine plus longtemps que des traces de patins gommées par le passage de la surfaceuse. Il y a huit jours, la Champions Hockey League (CHL) n’intéressait pas beaucoup de monde à Genève, où 4371 spectateurs seulement voyaient les champions de Suisse tenus en échec par les Finlandais de Lukko Rauma (2-2). Et puis mardi soir, les Aigles sont allés arracher leur qualification (3-2) dans le golfe de Botnie et voilà que la finale, le 20 février à Genève contre les Suédois du Skelleftea AIK, est désormais le match que tout le monde veut voir.
Dix mois après un acte VII inoubliable pour un premier titre de champion de Suisse, les Vernets peuvent être le lieu d’un nouveau sacre historique pour Genève-Servette: aucun club suisse n’a disputé la moindre finale de la CHL depuis qu’elle a été relancée en 2014-2015 (après une première édition sans lendemain remportée en 2009 par les ZSC Lions). Les demandes de billets affluent vers la vieille patinoire des bords de l’Arve, ainsi que les commentaires acerbes sur les réseaux sociaux: «Les opportunistes vont être de retour…»
Une question ancienne
A Genève, le public se mobilise pour les grands événements. La Champions Hockey League n’en était pas un, mais une finale oui! Mercredi, le club a annoncé que ses abonnés seront prioritaires pour acheter leurs billets, puis que les places restantes seront proposées au public au début du mois de février. Paradoxalement, les opportunistes seront cette fois les habitués qui se passionneront pour une compétition qu’ils ont majoritairement dénigrée ou dédaignée jusque-là.
De la Roma (28 500 spectateurs le 30 novembre pour un match de poule sans enjeu en Europa League) à Rauma (une patinoire au tiers vide le 9 janvier pour une demi-finale décisive de CHL), comment expliquer une telle différence d’engouement entre le football et le hockey? La question est ancienne, les réponses connues, bien que pas toujours convaincantes.
Manque de curiosité
Ceux qui ont reçu les sacrements du puck disent que la CHL est une compétition trop récente, qui manque de légitimité et souffre de l’absence des équipes russes de la Kontinental Hockey League (KHL). «C’est comme si la Ligue des champions de football se jouait sans les clubs anglais», disent-ils. Puisque le parallèle est fait, on peut leur objecter que la Coupe d’Europe de football a d’emblée bénéficié d’un grand intérêt de la part des clubs participants. Servette, qui a joué le deuxième match européen de l’histoire en septembre 1955 contre le Real Madrid devant 6500 spectateurs, en attirait 26 000 seulement six ans plus tard pour la venue du Dukla Prague. La Coupe d’Europe de football a très vite prospéré, même lorsque les clubs anglais en ont été bannis pour cinq ans après le drame du Heysel en 1985, alors qu’ils venaient de remporter sept des neuf précédentes éditions.
On pourrait dire que l’engouement suscité par la CHL est à la hauteur des sommes qu’elle verse à ses participants. Un titre européen rapporterait 340 000 francs à Genève-Servette, selon le calcul du journaliste spécialisé Klaus Zaugg, qui estime que la compétition n’est pas rentable à moins d’atteindre les demi-finales.
Mais le problème est d’abord et avant tout culturel: comme le football ne veut pas des play-off, le hockey n’a que faire de la Coupe d’Europe. Il dédaigne à la fois la coupe et l’Europe. Plusieurs fois relancée et plusieurs fois abandonnée, la Coupe de Suisse ne s’est jamais imposée comme une compétition à laquelle les clubs tenaient. Dans sa dernière mouture, elle se dispute sans les clubs de l’élite, ce qui fait que les équipes de National League ne participent pas à la National Cup
L’Europe du hockey n’est pas non plus ce qui excite les imaginations. Le calendrier est certes surchargé mais le supporter moyen est affligé d’un manque de curiosité qui lui fait préférer un énième Davos renforcé-Team Canada à la Coupe Spengler à la découverte du champion de Finlande, quand bien même les joueurs de ce pays ont survolé les débats lors de la finale entre Genève-Servette et le HC Bienne. Ce n’est pas propre à Genève. Cet automne, Bienne a fait plus de public contre le dernier Ajoie qu’avec la CHL. L’an dernier, Fribourg-Gottéron avait quitté la compétition en huitième de finale, éliminé par Jukurit Mikkeli devant sa plus faible affluence de la saison.
Servette casse les codes
Ce n’est pas propre à la Suisse non plus. «A Växjö, il n’y avait que 1700 spectateurs pour notre quart de finale alors qu’ils étaient 8000 trois jours plus tôt en Championnat de Suède», se souvient Geff Scarantino, le chef de presse de Genève-Servette.
«Vous voulez savoir pourquoi aucun club suisse n’a jamais gagné la CHL? Parce que la moitié des joueurs s’en foutent totalement. Parce que tout le monde s’en fout, demandez à tous les directeurs sportifs et entraîneurs du pays», avait lâché Christian Dubé l’an dernier à La Liberté. Cette année, Genève-Servette a rompu avec le discours ambiant en proclamant haut et tôt sa volonté de disputer la CHL à fond, et si possible de la gagner. «Cela fait partie de la culture que le club essaye d’implanter, explique Geff Scarantino. C’est aussi une superbe opportunité de se confronter à d’autres styles de jeu et de faire connaître la marque Servette à l’étranger. Et chaque année, on voit que l’intérêt pour la CHL grandit, en Suisse comme en Europe.»
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