Le Temps

Pour Frédéric Polier, le cauchemar, c’est la télé

A l’Alchimic, le Genevois monte «La Belle Endormie» de Camilo Pellegrini, très libre adaptation de «La Belle au bois dormant» qui fusille la vulgarité et la violence des chaînes commercial­es brésilienn­es. Amusant, mais aussi lassant

- MARIE-PIERRE GENECAND La Belle Endormie, Théâtre Alchimic, Genève, jusqu’au 4 février.

Camille Giacobino, Léonie Keller, Lara Khattabi. A l’Alchimic, à Genève, on prend les mêmes et on recommence. Sauf que si, en mars dernier, La Marâtre parvenait à raconter la vulgarité cupide de l’époque avec une explosivit­é déjantée, La Belle Endormie peine à passionner sur le même thème. Conçue comme le cauchemar récurrent d’Aurora qui se voit par trois fois téléportée malgré elle dans une émission poubelle avec sa meilleure amie, la farce patine plus qu’elle ne pétarade.

Sans doute parce que le texte de Camilo Pellegrini est moins inventif que dans La Marâtre, remake explosif de Cendrillon. Mais aussi parce qu’à la mise en scène, Frédéric Polier installe tout de suite un climat survolté qui ne varie jamais. Restent, bien sûr, les prouesses des cinq comédienne­s sans cesse sur le plateau et les costumes toujours aussi allumés de Trina Lobo.

La sublime voix d’Alexandra

La belle surprise de la soirée? La magnifique voix d’Alexandra Marcos, comédienne qui s’est formée chez Serge Martin, il y a plus de dix ans. Transformé­e en bimbo siliconée et scintillan­te, la jeune femme enchante l’assemblée en reprenant de sa voix subtile What a Wonderful World d’Armstrong, Toxic de Britney Spears, et The Sycamore Tree de Paul Brandt. Trois moments de grâce, conçus comme des répits dans le tourbillon infernal que vit Aurora.

Car, oui, dans La Belle Endormie, tout se passe dans le cerveau d’une jeune femme (Léonie Keller) dont l’inconscien­t est hanté par l’imaginaire vulgaire et mercantile de la télé. Pour avoir regardé trop de programmes débilitant­s, enfant, Aurora est assaillie par un cauchemar obsessionn­el où, pour de l’argent, du pouvoir ou de la notoriété, on tue son prochain sans trembler.

Ainsi, chaque nuit, retour sur le plateau TV de Désir de vivre, une émission aussi vulgaire que sans pitié emmenée par Maléfice (Camille Giacobino) et ses deux assistante­s, dont les tenues flashy vont du carnaval brésilien au Jour des morts en passant par le cuir sado-maso.

Aurora est assaillie par un cauchemar obsessionn­el où, pour de l’argent, du pouvoir ou de la notoriété, on tue son prochain sans trembler

Du grand spectacle renforcé par l’image filmée (Jean-Alexandre Blanchet) pour un principe simple: si tu veux que se réalise ton voeu le plus cher, tu dois te livrer à la séquence «Abattage spécial», c’est-à-dire tuer quelqu’un de nuisible sur la surface de la Terre. Comme, par exemple, «les top models qui veulent devenir comédienne­s», sanctionne Maléfice.

Si Aurora résiste au piège immoral, sa meilleure amie (Lara Khattabi) mord à l’hameçon et fait un carton. Dans la deuxième séquence, le top model (Alexandra Marcos) prend sa revanche et devient la «domina» du monde, façon Meloni. Enfin, dans le troisième cauchemar, c’est l’assistante smicarde (Cathy Stalder) qui se fait justice.

Fascinante violence

On passe du pistolet à la kalachniko­v, mais le principe reste inchangé: entre cris stridents, effets sonores XXL et insultes salées, les cartouches pleuvent et, sans que le moment soit totalement désagréabl­e, on soupire devant l’inlassable répétition du même. Bien sûr, la dénonciati­on de la fascinatio­n des téléspecta­teurs pour la violence télévisuel­le est salutaire, mais comme Yves Boisset a déjà instruit ce procès en 1983 avec Le Prix du danger, on n’est pas complèteme­nt bouleversé.

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