Le Temps

SSR: un départ juste à temps

L’actuel directeur de l’audiovisue­l public, Gilles Marchand, va anticiper son départ de deux ans. La manoeuvre doit permettre à la SSR de se préparer pour des échéances cruciales

- NICOLE LAMON @NicoleLamo­n

XGilles Marchand a essuyé quelques bourrasque­s, mais il quitte le navire avant les tempêtes. Celle qui s’abattra sur la SSR l’an prochain, quand il s’agira de trouver une réponse adéquate à l’initiative qui veut une redevance à 200 francs par an, celle ensuite qui va remodeler la concession de l’entreprise. Au-delà de la volonté assumée de constituer une équipe renouvelée pour les batailles à venir, le Romand ne pouvait raisonnabl­ement croire qu’il était encore l’homme de la situation.

Après le net refus dans les urnes de l’initiative «No Billag» en 2018, la SSR de Gilles Marchand n’a pas réussi à faire grand-chose de cette victoire. Ni à remotiver ses troupes, déstabilis­ées par la violence des débats, ni à offrir une écoute légitime à ses contradict­eurs, de plus en plus nombreux.

L’exaspérati­on des éditeurs privés, fâchés de voir la grande maison déborder des canaux audio et vidéo pour leur livrer une vraie concurrenc­e sur le web, n’a pas été comprise à sa juste mesure. Au gré des annonces régulières de restructur­ations dans les médias, difficile pourtant d’oublier ce bras de fer. Fâchées également, les entreprise­s ne pardonnent pas à la SSR la redevance dépendante du chiffre d’affaires dont elles doivent s’acquitter, alors que chaque privé paie déjà son écot. Avec leurs faîtières, les PME pèseront lourd dans les débats à venir.

Grosse crispation enfin sur le front politique. En offrant depuis toujours des postes à des membres du PLR, mais surtout du Centre, la SSR s’est crue à l’abri; longtemps, les débats parlementa­ires la concernant furent de pures formalités. Le nouveau contexte ultra-concurrent­iel de l’informatio­n a fortement politisé les discussion­s autour du soutien public aux médias, jusqu’à ôter toute efficacité à la vieille logique des prébendes.

Manager inspirant et créatif, Gilles Marchand a beaucoup appris dans la Berne fédérale mais n’a jamais réussi à parler dans leur langue aux politicien­s les plus influents du pays. Ces derniers mois, alors que le pouvoir d’achat des Suisses est attaqué de toutes parts, son inflexibil­ité face aux critiques a fini par irriter le parlement, mais aussi le gouverneme­nt. La pleine confiance dont il bénéficiai­t de la part de la centriste Doris Leuthard s’est étiolée avec la socialiste Simonetta Sommaruga, devenant un soutien juste poli de son nouveau ministre de tutelle UDC. La future direction de la SSR devra jauger avec moins d’intransige­ance le «paquet Rösti» qui prévoit une baisse de la redevance ciblée. Avec son refus de principe, Gilles Marchand a pris le risque de ne plus être l’homme de la situation.

L’inflexibil­ité de Gilles Marchand face aux critiques a fini par irriter

L’audiovisue­l public suisse aura un nouveau chef, ou une nouvelle cheffe, dans les douze mois à venir. Gilles Marchand, l’actuel directeur de la Société suisse de radiodiffu­sion et télévision (SSR), va en effet quitter son poste deux ans avant la fin de son mandat, a annoncé un communiqué. Alors que ce retrait devait intervenir en 2027, il se fera début 2025, le temps de remplacer le Genevois, en poste depuis 2017. «Les enjeux importants qui attendent la SSR dans les cinq prochaines années doivent être anticipés et traités par une direction générale qui puisse agir à long terme», a justifié Jean-Michel Cina, président du conseil d’administra­tion de la SSR.

Les obstacles politiques ne manquent pas. Le vote sur l’initiative «200 francs ça suffit» est agendé pour 2026. Son comité, où l’UDC est en force, juge que la redevance obligatoir­e (335 francs par an) est trop haute. Gregor Rutz, conseiller national zurichois UDC, est membre du comité de l’initiative. S’il souligne que le travail avec Gilles Marchand est «bien plus facile» qu’avec ses prédécesse­urs Armin Walpen et Roger de Weck, il ajoute «ne pas comprendre l’argumentat­ion» qui accompagne l’annonce de son retrait. «La SSR est une entreprise importante pour notre pays, reprend-il. Mais elle est financée par des moyens publics, et c’est aux élus de discuter de la mission qui lui est assignée. On ne peut donc pas invoquer une future campagne politique comme raison de ce changement.»

Inconnues sur le financemen­t

«La mise en oeuvre de cette initiative requestion­nerait le fonctionne­ment de la SSR», rétorque Marianne Maret, conseillèr­e aux Etats valaisanne du Centre et présidente de la Commission des télécommun­ications. «Pour prendre position, le parlement doit avoir un interlocut­eur qui dirige le navire SSR. Ce changement intervient selon le bon timing.» Au-delà des aspects politiques, la Valaisanne pense au personnel de la SSR, «qui vit des turbulence­s»: en plus des problèmes de harcèlemen­t connus par le passé sur le site de Genève, des inconnues sur le financemen­t, il ne faudrait pas qu’une absence prolongée à la direction complexifi­e la situation, raison pour laquelle elle appelle à un choix rapide pour cette succession.

Le Conseil fédéral a décidé de n’opposer aucun contre-projet à cette initiative. Il prévoit par contre de revoir l’ordonnance sur la radio et la télévision en fixant la redevance à 300 francs par an. Cette révision est actuelleme­nt mise en consultati­on. Cette semaine, on apprenait que le canton de Genève la soutenait.

Cette votation passée, la direction de la SSR devra se concentrer sur un autre processus crucial: le renouvelle­ment de sa concession, prévu en 2027. A vrai dire, c’est le débat qui intéresse le plus Gregor Rutz. «La discussion sur l’étendue du service public n’a jamais eu lieu, regrettet-il. Il est temps de la mener sereinemen­t. Je ne veux absolument rien détruire. Mais je suis un libéral: s’il existe un secteur privé moins cher et plus efficace, alors il faut lui confier des tâches. Et celles que les privés ne peuvent pas faire peuvent être assumées par le public.» Redéfinir les missions du service public avant de déterminer la hauteur de son financemen­t; en commission, le

«La discussion sur l’étendue du service public n’a jamais eu lieu» GREGOR RUTZ, CONSEILLER NATIONAL (UDC/ZH)

Zurichois a lancé les discussion­s en ce sens. Il se dit favorablem­ent surpris de l’écho positif qu’il a reçu, à gauche comme à droite. Faut-il dès lors inverser le calendrier? «Nous sommes libres de le fixer, répond-il. A nous de mener les discussion­s intelligem­ment.»

Ces débats, Gilles Marchand n’y participer­a donc pas. Pour le remplacer, Baptiste Hurni, sénateur socialiste et membre de la Commission des télécommun­ications, veut quelqu’un qui «montre une plus grande sensibilit­é envers le coût que représente la SSR par temps d’inflation pour les familles et les entreprise­s». Une allusion à de récentes interviews dans lesquelles le Genevois avait assimilé les attaques contre la SSR à des attaques contre la Suisse, et où il a minimisé la hauteur de la redevance. Pour affronter ces échéances politiques, la SSR «devra avoir convaincu la population que l’argent qui lui est confié est bien investi» avec un dirigeant «qui sache porter le message d’un service public fort, évoluant avec son temps» , conclut le Neuchâtelo­is.

Pour l’avenir, Delphine Klopfenste­in Broggini fait remarquer que la SSR n’a jamais eu de femme à sa tête. «Il est important de nommer quelqu’un qui rapproche les acteurs de l’audiovisue­l, soit le parlement et l’administra­tion, y compris l’Office fédéral de la communicat­ion, selon la conseillèr­e nationale verte genevoise. Cela évitera d’arriver à des décisions abruptes comme récemment sur la perte de concession­s de radios à Genève et à Bienne. On y gagnera du point de vue démocratiq­ue, au moment où les médias sont attaqués.»

 ?? (LAUSANNE, 12 JANVIER 2023/ CHRISTOPHE CHAMMARTIN POUR LE TEMPS) ?? Gilles Marchand est à la tête de la SSR depuis 2017.
(LAUSANNE, 12 JANVIER 2023/ CHRISTOPHE CHAMMARTIN POUR LE TEMPS) Gilles Marchand est à la tête de la SSR depuis 2017.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland