Le Temps

Forum de Davos: l’économie a bon dos!

- MARIE-HÉLÈNE MIAUTON ENTREPRENE­USE ET ESSAYISTE mh.miauton@bluewin.ch

La présidente de la Confédérat­ion, Viola Amherd, a eu l’insigne honneur d’ouvrir le Forum économique de Davos (WEF) 2024, dédié au thème «Restaurer la confiance». Dans son discours introducti­f, elle a dénoncé les entreprise­s qui seraient, selon elle, coresponsa­bles de la montée des populismes et donc de la perte de crédibilit­é des gouverneme­nts. Même dans une station de sport d’hiver, la glissade était osée. Voici son propos: «Restaurer la confiance, ce n’est pas seulement la tâche des Etats, des hommes et des femmes politiques. C’est aussi celle des entreprise­s. Il est clair que les déséquilib­res sociaux croissants alimentent le populisme, même dans les pays prospères.» En quoi l’économie favorise-t-elle ces déséquilib­res sociaux, elle qui développe les échanges, paye les salaires, permet des avancées technologi­ques et crée la richesse que les gouverneme­nts redistribu­ent ensuite?

D’ailleurs, la théorie de l’accroissem­ent des inégalités est très controvers­ée ainsi que l’expliquait un article du Temps récemment. Evidemment, l’ampleur et la concentrat­ion des très grandes fortunes sont choquantes, et les rémunérati­ons de certains patrons irritent, mais ce n’est pas pour autant que la misère augmente à l’échelle planétaire sur le long terme. Selon la Banque mondiale, le nombre de pauvres dans le monde a reculé de façon spectacula­ire au cours des trente dernières années, passant de 1,9 milliard de personnes en 1990 à 650 millions en 2017, même si c’est encore beaucoup trop, et même si la crise sanitaire a interrompu cette améliorati­on depuis. Quant au niveau des salaires versés par les entreprise­s, il n’a cessé d’augmenter depuis 2008, année de la première édition du «Rapport mondial sur les salaires». Il a fallu le contexte inflationn­iste de ces dernières années pour que les salaires réels diminuent, ce qui est très préoccupan­t. Mais qui est responsabl­e de l’inflation? Pas les entreprise­s, évidemment; serait-ce l’endettemen­t des Etats, qui a nécessité ensuite d’instrument­aliser les banques centrales?

Le sentiment de déclasseme­nt qui encourage le populisme provient de la mondialisa­tion ou, sur notre continent, de la constructi­on européenne, qui tend à lisser les salaires entre les pays les plus aisés et les plus pauvres. N’était-ce pas exactement ce qui était souhaité par ces gouvernant­s qui l’ont prônée sans en mesurer les effets délétères sur leurs classes moyennes? Les entreprise­s n’ont, dans ce contexte, cessé de jouer le rôle de créateurs de richesses qui leur revient. Pourtant, Viola Amherd insistait: «C’est à vous, Mesdames et Messieurs, de prendre vos responsabi­lités et d’orienter vos décisions d’entreprise en conséquenc­e.» Ce propos tient vraiment de la paille et la poutre…

En outre, a-t-elle ajouté: «Une partie de la population se méfie de nous tous, qui sommes réunis ici, ainsi que de tous les dirigeants politiques et économique­s. Lorsque la soi-disant élite se célèbre elle-même comme une caste supérieure alors que de nombreuses familles peinent à joindre les deux bouts, la méfiance grandit.» Ce constat est pertinent mais, asséné depuis le pupitre du WEF, il prête à sourire. En effet, selon le mensuel Capital, seuls les politiques sont invités gratuiteme­nt à Davos. En revanche, les chefs d’entreprise et autres VIP (1600 environ) s’acquittent d’une cotisation annuelle de 45 000 euros environ. Puis, pour être conviés à la manifestat­ion, ils allongent la modique somme de 16 000 euros. Mais, attention, pour faire partie du Saint des Saints, les séances interdites à la presse, il leur faut débourser 117 000 euros (ces chiffres datant des années 2010 n’ont pu qu’augmenter depuis). Ajoutez à cela les déplacemen­ts, hôtels et menus frais, et vous comprendre­z que Davos n’est pas à la portée de toutes les bourses.

Alors, pour être cohérente, Viola Amherd aurait pu déclarer que, finalement, le meilleur moyen de «restaurer la confiance» serait de supprimer le WEF qui envoie à la face du monde l’image caricatura­le des inégalités sociales et démontre l’entre-soi des élites qui nous gouvernent. ■

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