Forum de Davos: l’économie a bon dos!
La présidente de la Confédération, Viola Amherd, a eu l’insigne honneur d’ouvrir le Forum économique de Davos (WEF) 2024, dédié au thème «Restaurer la confiance». Dans son discours introductif, elle a dénoncé les entreprises qui seraient, selon elle, coresponsables de la montée des populismes et donc de la perte de crédibilité des gouvernements. Même dans une station de sport d’hiver, la glissade était osée. Voici son propos: «Restaurer la confiance, ce n’est pas seulement la tâche des Etats, des hommes et des femmes politiques. C’est aussi celle des entreprises. Il est clair que les déséquilibres sociaux croissants alimentent le populisme, même dans les pays prospères.» En quoi l’économie favorise-t-elle ces déséquilibres sociaux, elle qui développe les échanges, paye les salaires, permet des avancées technologiques et crée la richesse que les gouvernements redistribuent ensuite?
D’ailleurs, la théorie de l’accroissement des inégalités est très controversée ainsi que l’expliquait un article du Temps récemment. Evidemment, l’ampleur et la concentration des très grandes fortunes sont choquantes, et les rémunérations de certains patrons irritent, mais ce n’est pas pour autant que la misère augmente à l’échelle planétaire sur le long terme. Selon la Banque mondiale, le nombre de pauvres dans le monde a reculé de façon spectaculaire au cours des trente dernières années, passant de 1,9 milliard de personnes en 1990 à 650 millions en 2017, même si c’est encore beaucoup trop, et même si la crise sanitaire a interrompu cette amélioration depuis. Quant au niveau des salaires versés par les entreprises, il n’a cessé d’augmenter depuis 2008, année de la première édition du «Rapport mondial sur les salaires». Il a fallu le contexte inflationniste de ces dernières années pour que les salaires réels diminuent, ce qui est très préoccupant. Mais qui est responsable de l’inflation? Pas les entreprises, évidemment; serait-ce l’endettement des Etats, qui a nécessité ensuite d’instrumentaliser les banques centrales?
Le sentiment de déclassement qui encourage le populisme provient de la mondialisation ou, sur notre continent, de la construction européenne, qui tend à lisser les salaires entre les pays les plus aisés et les plus pauvres. N’était-ce pas exactement ce qui était souhaité par ces gouvernants qui l’ont prônée sans en mesurer les effets délétères sur leurs classes moyennes? Les entreprises n’ont, dans ce contexte, cessé de jouer le rôle de créateurs de richesses qui leur revient. Pourtant, Viola Amherd insistait: «C’est à vous, Mesdames et Messieurs, de prendre vos responsabilités et d’orienter vos décisions d’entreprise en conséquence.» Ce propos tient vraiment de la paille et la poutre…
En outre, a-t-elle ajouté: «Une partie de la population se méfie de nous tous, qui sommes réunis ici, ainsi que de tous les dirigeants politiques et économiques. Lorsque la soi-disant élite se célèbre elle-même comme une caste supérieure alors que de nombreuses familles peinent à joindre les deux bouts, la méfiance grandit.» Ce constat est pertinent mais, asséné depuis le pupitre du WEF, il prête à sourire. En effet, selon le mensuel Capital, seuls les politiques sont invités gratuitement à Davos. En revanche, les chefs d’entreprise et autres VIP (1600 environ) s’acquittent d’une cotisation annuelle de 45 000 euros environ. Puis, pour être conviés à la manifestation, ils allongent la modique somme de 16 000 euros. Mais, attention, pour faire partie du Saint des Saints, les séances interdites à la presse, il leur faut débourser 117 000 euros (ces chiffres datant des années 2010 n’ont pu qu’augmenter depuis). Ajoutez à cela les déplacements, hôtels et menus frais, et vous comprendrez que Davos n’est pas à la portée de toutes les bourses.
Alors, pour être cohérente, Viola Amherd aurait pu déclarer que, finalement, le meilleur moyen de «restaurer la confiance» serait de supprimer le WEF qui envoie à la face du monde l’image caricaturale des inégalités sociales et démontre l’entre-soi des élites qui nous gouvernent. ■