Ne sacrifions pas l’héritage d’Henry Dunant
Après l’attaque terroriste particulièrement brutale du 7 octobre dernier par le Hamas contre Israël, la plupart des pays occidentaux – dont les Etats-Unis et l’Union européenne – ont manifesté leur soutien à Israël et réaffirmé le droit de ce dernier à se défendre contre de telles agressions.
Profondément impressionné par le caractère existentiel de cette attaque, Israël de son côté a finalement décidé d’attaquer la bande de Gaza en envahissant son territoire, en instaurant des entraves contre les importations de nourriture, d’eau, de sources d’énergie et de médicaments, et en soumettant la population à d’intenses bombardements, au risque de provoquer de nombreuses victimes dans la population civile.
Actuellement, celle-ci souffre de famine, elle cherche en masse à se réfugier dans des endroits plus sûrs, et les hôpitaux ne peuvent plus fonctionner de façon normale faute de sources d’énergie et de médicaments. Le nombre de victimes dépasse 22 000 morts, sans compter les blessés.
Il est donc légitime de se demander jusqu’où va ce droit de défense et s’il inclut des opérations agressives et privatives de liberté de la sorte, qui constituent pour la plupart de graves violations du droit international humanitaire (DIH). Ce serait là porter atteinte à l’héritage d’Henry Dunant, qui prône le respect de la vie et de la dignité humaine en toutes circonstances. Le DIH se fonde en effet sur la distinction entre combattants et population civile. Celle-ci doit toujours être protégée dans toute la mesure du possible.
Il est vrai que le DIH ne nie pas qu’elle puisse souffrir des dommages collatéraux dus aux opérations militaires, mais il exige que celles-ci aient des objectifs déterminés et que toutes les précautions soient prises pour éviter d’entraîner des conséquences sur la population civile ou ses biens. Ce principe de précaution et de
Israël réussira peutêtre à écarter la menace du Hamas pendant un certain temps, mais pas à détruire l’idéologie qui en est le fondement
proportionnalité est un élément essentiel du DIH.
Or, en mettant l’accent sur ses opérations militaires et en instaurant des entraves privant ses habitants de leurs besoins les plus élémentaires, Israël a montré qu’il ne se préoccupait guère des conséquences de ses actes sur les habitants de Gaza. Il n’est pas possible de violer ainsi les principes fondamentaux du DIH, quels que soient les motifs invoqués. D’ailleurs, on ne peut pas s’empêcher de penser qu’avec cette stratégie, Israël réussira peut-être à écarter la menace du Hamas pendant un certain temps, mais pas à détruire l’idéologie qui en est le fondement, ni à offrir de solution constructive à Gaza, à la population palestinienne dans son ensemble, ou encore pour le retour des otages.
Il faut donc tout faire pour persuader le gouvernement israélien de mettre sans délai un terme à ces violations du DIH. La communauté internationale a d’ailleurs une responsabilité à cet égard en vertu de l’article premier des Conventions de Genève par lequel les Etats signataires s’engagent «à respecter et faire respecter» leurs engagements.
Finalement, on peut se demander comment un Etat qui fait l’objet d’une attaque par un groupe terroriste devrait réagir tout en se conformant au DIH. L’histoire récente montre que les autorités de l’Etat en cause se voient obligées de démontrer leur détermination à se défendre et leur pouvoir de le faire face à des groupes bien organisés mais qui ne reconnaissent aucune règle.
Ce fut manifestement le cas en Israël, mais aussi aux Etats-Unis après l’attaque contre les tours à New York. Il faut donc trouver un moyen qui leur permette de réagir sans nécessairement avoir recours à de telles mesures. Une solution me semble être de replacer ces attaques terroristes dans un cadre international, c’est-à-dire de les considérer comme une menace contre l’ordre international que tous les Etats ont intérêt à combattre.
Il s’agirait à cet effet de créer une association d’Etats contre le terrorisme, qui engagerait le plus grand nombre possible de signataires, et dont le but serait de lutter ensemble de manière aussi efficace que possible contre ce fléau. Cela permettrait aux Etats visés individuellement de ne pas avoir à prendre eux-mêmes des mesures exceptionnelles qui vont à l’encontre du DIH, mais de s’appuyer sur toutes celles qui pourraient être prises par l’association et qui seraient probablement mieux ciblées.
Ne sacrifions pas les principes fondamentaux d’humanité du DIH, qui sont une des réalisations les plus précieuses de notre civilisation. ■