Le Temps

L’Irlande du Nord connaît une grève historique

Face à l’impasse politique, près de 10% de la population nord-irlandaise était en grève hier, tandis que la province n’a pas de gouverneme­nt depuis deux ans

- ÉRIC ALBERT, LONDRES @IciLondres

Les transports en commun à l’arrêt. Les écoles fermées. Les hôpitaux presque déserts. L’Irlande du Nord a connu jeudi la plus grande grève de son histoire contempora­ine. Seize syndicats avaient appelé à l’arrêt du travail et ils ont été suivis en masse. Selon eux, 170 000 personnes ont répondu à l’appel, presque 10% d’une population qui compte 1,9 million d’habitants. Même une partie des routes, verglacées en cette journée où la températur­e n’a pratiqueme­nt pas dépassé le gel, n’ont pas pu être dégagées. «C’est une journée historique», s’exclamait Owen Reidy, le leader de l’Irish Congress of Trade Unions, face aux milliers de manifestan­ts réunis devant la mairie de Belfast

Comme partout dans le reste du Royaume-Uni, le conflit tourne autour du niveau des salaires, alors que l’inflation a fortement réduit le pouvoir d’achat. Mais contrairem­ent au reste du pays, il s’y ajoute un dur bras de fer politique, pour sortir de l’impasse une province qui n’a plus de gouverneme­nt local depuis bientôt deux ans.

Un processus politique bloqué

En février 2022, le DUP, le principal parti unioniste (protestant, qui souhaite rester dans le Royaume-Uni) a claqué la porte de Stormont, le parlement nord-irlandais. Il est alors dos au mur politiquem­ent.

La population «nationalis­te» (catholique, qui souhaite le rattacheme­nt à la République d’Irlande) venait de dépasser celle des unionistes pour la première fois de l’histoire. Surtout, le Brexit le déchire: des contrôles des marchandis­es sont désormais en place entre la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord, imposant de facto une frontière commercial­e entre deux des morceaux qui composent le Royaume-Uni. Pour les unionistes, dont l’unité du pays est la raison d’être, c’est inacceptab­le.

Depuis, la situation a empiré pour le DUP, qui a perdu les élections de mai 2022, doublé par le Sinn Féin, le premier parti nationalis­te à remporter une majorité à l’Assemblée d’Irlande du Nord. Arc-boutés sur leurs principes, sentant leur pouvoir historique leur échapper, les unionistes refusent de siéger au parlement. L’ensemble du processus politique est bloqué, et il n’y plus de gouverneme­nt local. Or, celui-ci est notamment chargé de la fonction publique (écoles, hôpitaux…) et donc du salaire des fonctionna­ires.

L’intransige­ance du DUP

En décembre, alors que la grogne sociale montait, le gouverneme­nt britanniqu­e, qui gère les affaires courantes depuis Londres, a décidé de mettre sur la table une enveloppe de 3 milliards de livres (3,3 milliards de francs).

Mais à une condition: que les élus nord-irlandais retournent au parlement et forment un gouverneme­nt. «Cela résoudrait la question des salaires de la fonction publique et fournirait 1 milliard de livres pour stabiliser les services publics», explique le ministre chargé de l’Irlande du Nord, Chris Heaton-Harris. Pour l’instant, le DUP ne transige pas, et l’argent n’a pas été débloqué.

Ce positionne­ment de Londres exaspère les fonctionna­ires nord-irlandais, qui se sentent pris en otage. «Le vrai obstacle est Chris Heaton-Harris, son refus d’accepter la réalité et son obstinatio­n à continuer une stratégie politique qui a échoué», attaque Gerry Murphy, du syndicat des enseignant­s.

Le leader du DUP, Jeffrey Donaldson, rejette évidemment lui aussi la responsabi­lité sur le gouverneme­nt britanniqu­e, «qui a le pouvoir et l’argent nécessaire­s pour apporter une solution aux salaires du secteur public». Mais ce jeudi, lui comme les élus de son parti se sont faits particuliè­rement discrets et ils étaient introuvabl­es auprès des manifestat­ions.

L’impasse semble donc complète. Le gouverneme­nt britanniqu­e menace de dissoudre l’Assemblée d’Irlande du Nord et d’organiser des élections anticipées. Mais, dans la mesure où les électeurs votent largement suivant leur appartenan­ce identitair­e, les résultats risquent d’être très similaires, ne débloquant rien.

Un quart de siècle après les accords du Vendredi-Saint, qui ont mis fin aux violences, la paix n’est pas menacée mais la politique nord-irlandaise demeure profondéme­nt sectaire.

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