L’Irlande du Nord connaît une grève historique
Face à l’impasse politique, près de 10% de la population nord-irlandaise était en grève hier, tandis que la province n’a pas de gouvernement depuis deux ans
Les transports en commun à l’arrêt. Les écoles fermées. Les hôpitaux presque déserts. L’Irlande du Nord a connu jeudi la plus grande grève de son histoire contemporaine. Seize syndicats avaient appelé à l’arrêt du travail et ils ont été suivis en masse. Selon eux, 170 000 personnes ont répondu à l’appel, presque 10% d’une population qui compte 1,9 million d’habitants. Même une partie des routes, verglacées en cette journée où la température n’a pratiquement pas dépassé le gel, n’ont pas pu être dégagées. «C’est une journée historique», s’exclamait Owen Reidy, le leader de l’Irish Congress of Trade Unions, face aux milliers de manifestants réunis devant la mairie de Belfast
Comme partout dans le reste du Royaume-Uni, le conflit tourne autour du niveau des salaires, alors que l’inflation a fortement réduit le pouvoir d’achat. Mais contrairement au reste du pays, il s’y ajoute un dur bras de fer politique, pour sortir de l’impasse une province qui n’a plus de gouvernement local depuis bientôt deux ans.
Un processus politique bloqué
En février 2022, le DUP, le principal parti unioniste (protestant, qui souhaite rester dans le Royaume-Uni) a claqué la porte de Stormont, le parlement nord-irlandais. Il est alors dos au mur politiquement.
La population «nationaliste» (catholique, qui souhaite le rattachement à la République d’Irlande) venait de dépasser celle des unionistes pour la première fois de l’histoire. Surtout, le Brexit le déchire: des contrôles des marchandises sont désormais en place entre la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord, imposant de facto une frontière commerciale entre deux des morceaux qui composent le Royaume-Uni. Pour les unionistes, dont l’unité du pays est la raison d’être, c’est inacceptable.
Depuis, la situation a empiré pour le DUP, qui a perdu les élections de mai 2022, doublé par le Sinn Féin, le premier parti nationaliste à remporter une majorité à l’Assemblée d’Irlande du Nord. Arc-boutés sur leurs principes, sentant leur pouvoir historique leur échapper, les unionistes refusent de siéger au parlement. L’ensemble du processus politique est bloqué, et il n’y plus de gouvernement local. Or, celui-ci est notamment chargé de la fonction publique (écoles, hôpitaux…) et donc du salaire des fonctionnaires.
L’intransigeance du DUP
En décembre, alors que la grogne sociale montait, le gouvernement britannique, qui gère les affaires courantes depuis Londres, a décidé de mettre sur la table une enveloppe de 3 milliards de livres (3,3 milliards de francs).
Mais à une condition: que les élus nord-irlandais retournent au parlement et forment un gouvernement. «Cela résoudrait la question des salaires de la fonction publique et fournirait 1 milliard de livres pour stabiliser les services publics», explique le ministre chargé de l’Irlande du Nord, Chris Heaton-Harris. Pour l’instant, le DUP ne transige pas, et l’argent n’a pas été débloqué.
Ce positionnement de Londres exaspère les fonctionnaires nord-irlandais, qui se sentent pris en otage. «Le vrai obstacle est Chris Heaton-Harris, son refus d’accepter la réalité et son obstination à continuer une stratégie politique qui a échoué», attaque Gerry Murphy, du syndicat des enseignants.
Le leader du DUP, Jeffrey Donaldson, rejette évidemment lui aussi la responsabilité sur le gouvernement britannique, «qui a le pouvoir et l’argent nécessaires pour apporter une solution aux salaires du secteur public». Mais ce jeudi, lui comme les élus de son parti se sont faits particulièrement discrets et ils étaient introuvables auprès des manifestations.
L’impasse semble donc complète. Le gouvernement britannique menace de dissoudre l’Assemblée d’Irlande du Nord et d’organiser des élections anticipées. Mais, dans la mesure où les électeurs votent largement suivant leur appartenance identitaire, les résultats risquent d’être très similaires, ne débloquant rien.
Un quart de siècle après les accords du Vendredi-Saint, qui ont mis fin aux violences, la paix n’est pas menacée mais la politique nord-irlandaise demeure profondément sectaire.
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